Il y a même pas deux ans, Khemmis s’était fait une place au soleil avec un Hunted qui propulsa nos Américains hors des frontières de leur Colorado natal. Faut dire que les groupes se la jouant Heavy Doom et capables de ne pas pomper bêtement Candlemass tout en proposant une musique plutôt inédite, ça ne court pas les rues.
Dès les premières secondes de Bloodletting on se trouve en terrain connu, ravi par les rythmiques puissantes dominées de duos de guitares harmonieuses à la Iron Maiden. Enfin, un Iron Maiden qui aurait rencontré Katatonia offrant un verre de cigüe, car si le génie des mélodies est toujours présent chez le quatuor, le ton lui s’est assombri. Desolation n’a pas volé son nom, illustré par des coups Doom plus désabusés, des leads à te rendre l’œil humide et une voix qui vient t’enserrer le cœur. D’ailleurs les virées extrêmes apparaissent plus souvent, les cris aux couleurs encore jamais exploitées par le groupe continuent d’assombrir le tableau et apportent un relief plus viscéral et malsain.
Pour être honnête, mes premières écoutes de cette troisième offrande furent presque décevantes. Mince quoi, même si Hunted ne respirait pas toujours l’allégresse il y avait cette fougue, cet instinct de lutte (Heavy) qui cherchait à prendre le pas sur la fatalité (Doom). Desolation est un disque bien plus accablé, parcouru de textes moins métaphoriques qui laissent s’exprimer pleinement la douleur, et composé dans un contexte de deuil. De fait, garder les paroles à portée de main sera nécessaire pour toucher à l’essence de cette sortie qui nous plonge dans la pénombre jusqu’à un final enfin rédempteur.
Ces détails extra-musicaux pris en compte, c’est sous un autre jour que l’on écoute le successeur de Hunted. Encore une fois Khemmis livre une tracklist sans défaut, bien que The Seer fasse un peu figure d’enfant pauvre parmi ces six titres, faute de passage très marquant. Arborant la tristesse comme étendard, ce sont finalement les moments passés au fond du gouffre qui retiennent l’attention. A ce jeu-là, Flesh To Nothing et Maw Of Time se payent tous deux des mimiques vocales à la Katatonia agrémentées de relents Sludge/Black passablement cracras en total contraste, alors que les six-cordes déballent de l’oraison funèbre à chaque note. Isolation par ses airs plus tubesques pourra rehausser légèrement l’atmosphère, bien qu’un spleen évident pèse sur le refrain. Mais s’il fallait n’en retenir qu’un, From Ruin serait évidemment LE morceau qui surplombe ses congénères, car il condense toute la peine et l’espoir entremêlés, l’acceptation et le courage. Probablement les 9 minutes les plus intenses et possédées de la carrière de Khemmis, comment ne pas succomber à la cassure centrale de ce titre, lâchant des lignes de gratte à faire pleurer une pierre et un chanteur au sommet de son art.
Disque cathartique pour nous, exutoire pour eux, Desolation est à appréhender avec un état d’esprit différent de son aîné. Le groupe accouche avec la mine grave d’un brûlot torturé et moins immédiat, qui demandera plus d’investissement. Mais avec des gars coupables d’une instrumentation toujours aussi parfaite, il sera surtout difficile de se passer de cette poignée de chansons dévorées par les passions, et rongées par une délectable affliction.
Une interview de Khemmis traitant entre autre de Desolation est à lire par ici.
A écouter : Flesh To Nothing, Bloodletting, From Ruin