Kery James
Hip-Hop

Mouhammad Alix
1. | Mouhammad Alix | |
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2. | Douleur ébène | |
3. | Pense à moi (featuring Madame Monsieur) | |
4. | Jamais (featuring Nov) | |
5. | La rue ça fait mal | |
6. | Des morceaux de nous (featuring Cléo) | |
7. | D’où j’viens | |
8. | Prends le temps (featuring Faada Freddy) | |
9. | Paradoxal (featuring Cléo) | |
10. | Rue de la peine (featuring Toma) | |
11. | Vivre ou mourir ensemble | |
12. | Musique nègre (featuring Lino & Youssoupha) | |
13. | Ailleurs (featuring Toma) | |
14. | N’importe quoi | |
15. | Racailles | |
16. | J’suis pas un héros |
Chronique
Kery James fait figure de rescapé du rap conscient et engagé en France, aux antipodes du rap narcissique de Booba ou Kaaris, comme du rap devenu variété urbaine de Maïtre Gims ou Black M. Son septième album solo démontre que le rappeur n'a rien perdu de son talent, tant pour son flow toujours aussi athlétique que pour ses paroles d'une formidable richesse. Mouhammad Alix, en hommage au regretté Mouhammad Ali, est en cet automne 2016, une nouvelle démonstration de la puissance évocatrice de Kery James.
L'egotrip Mouhammad Alix ouvre l'album avec un déluge de punchlines à faire frémir n'importe quel rappeur égotiste de l'hexagone. C'est peu dire que ce morceau est un uppercut. Tel le roi Ali, Kery James "vole comme un papillon et pique comme une abeille" avec talent et s'affirme : "ils font des singles, je fais des classiques". Il y revendique ses origines de mec de rue avec force, s'incarne en guerrier, prêt à remonter sur le ring pour défendre de nouveau le vrai peu-ra. Et pourtant cet album est bien plus intimiste qu'il y paraît. Douleur Ebeine montre ainsi le côté mélancolique de Kery entre couleurs et peines, attendant que l'amour l'étreigne et le sauve de l'humeur noire et du blues qui l'assaillent, lui le poète noir qui n'échappe pas au racisme.
L'album se construit ainsi en parfaite harmonie entre le côté réaliste et hardcore de Kery James et les fêlures de l'homme Alix Mathurin, narrées à travers des textes plein de sensibilité. Pense à Moi permet ainsi à Kery de se raconter avec humilité : "mes blessures de guerres témoignent des combats que j'ai livrés". Avec en featuring Madame Monsieur, ce titre offre un refrain tout en douceur de coton. Plus loin le rappeur évoque la douleur du divorce avec Des Morceaux de Nous avec la participation de la chanteuse Cleo. Sur fond de boucles de guitares, Kery James raconte la séparation avec des lyrics d'une grande acuité : "on tombe amoureux en silence, on se sépare dans le bruit". C'est encore avec Cleo que le rappeur se décrit comme Paradoxal. Alix se promet de changer, nous dit-il , alors même que "Kery James c'est du vent, c'est de lui que vient le danger". Chaque parole est puissante et témoigne d'un homme imparfait, toujours en quête de lui-même, dans un monde où tout va trop vite, ce que montre la chanson Prends le Temps. Kery James l'écorché vif est toujours là, album après album,
Mais cet album est aussi celui du rap percutant. Kery James s'essaye à la trap avec plus ou moins de réussite, avec par exemple Jamais, un titre un peu plus faible que les autres. En revanche, La Rue Ça Fait Mal est la réponse à tous ceux qui minimisent ou glorifient la réalité de la vie en banlieue. "Je ne suis pas un gangster de studio" affirme ainsi Kery. Il y évoque ses meurtrissures et ses drames, avec une pensée pour toutes les familles qui ont perdu un être cher. D'Où je Viens enfonce le clou. Rien n'était gagné d'avance pour Kery et il ne l'a pas oublié : "J'ai survécu au banlieues à risques" ou encore "vous n'osez pas mettre les pieds dans les quartiers où je me sens bien". Il y clame aussi son intégrité face à l'argent facile. Enfin, le titre se conclue sur un sample de Rap Hardcore sur Violents Breakbeats issu de l'album d'Ideal J, Le Combat Continue. CQFD. Autre piste particulièrement incisive, Rue de la Peine en duo avec Toma, persiste et signe. Non la vie de banlieusard n'est pas rose, mais violente, véritable impasse pour ceux qui s'y laissent prendre.Toma revient pour le superbe titre Ailleurs, ou comment Kery James a toujours besoin de s'éloigner, "loin des fous", pour "trouver (sa) place ailleurs".
A ce stade, Mouhammad Alix est déjà une franche réussite. Mais attention, la suite du disque envoie du lourd. Écrite après les attentats du 13 novembre, Vivre ou Mourir Ensemble tente de tracer un chemin loin de la France divisée celle des "racistes décomplexés qui conceptualisent la haine" (en gros la France d'Eric Zemmour) face aux "plus ignorants qui se croient l'élite de l'humanité" (les djihadistes). Les lyrics de ce morceau sont d'une telle force évocatrice, rehaussée par le piano et les chœurs, d'une telle vérité qu'elles laissent KO. Pur chef d'oeuvre. Musique Nègre se veut une réponse au patron de Radio Courtoisie, Henri de Lesquen, homme politique d'extrême-droite et raciste notoire, dont l'une des propositions de candidat à l'élection présidentielle est l'interdiction d'antenne du rap, "cette musique nègre". Avec Lino d'Arsenik et Youssoupha, Kery James rend coup pour coup, cite le parfumeur Guerlain ou le Sarkozy du discours de Dakar, l'essayiste antisémite et xénophobe Alain Soral, voire le Laurent Blanc des quotas (de joueurs noirs dans les centres de formation de football) comme autant d'ennemis du vivre ensemble. Le slogan de nos trois rappeurs : "Pas calibrés pour la FM, on fait de la musique nègre".
Les dernières pistes montrent encore les différents visages de Kery James. N'importe quoi est un gros egotrip sur "prod' de félé", avec en leitmotiv des paroles du 113 : "truc de fou, de dingue, de psychopathe". Racailles est l'hymne fédérateur et revendicateur de ce disque. Kery James y tacle toute la classe politique française, menteurs, fraudeurs, corrompus, condamnés (Copé, Juppé notamment, tous deux candidats à la primaire républicaine), les voyous en costumes cravates qui ne croient rien et fond de la politique pour éviter la prison (Sarkozy?). Il dénonce le discours double, l'inféodation à la finance, l'islamophobie. "La rue le pense, j'le mets en musique". Kery James croie encore au réveil citoyen. Mais le rappeur y va si fort qu'il s'interroge si son texte peut lui valoir une fiche S. Il démonte aussi Skyrock, usine à cash, qui a travesti le rap, joué des clashs pour diviser, mis en avant fric et violence dans ses playlists. Bref Racailles est une bombe sonore où éclate la vérité de notre France malade. Enfin, Kery le mélancolique nous laisse sur Je Suis Pas Un Héros, mais quand même "prêt à mourir pour défendre ses idées", où la dualité Kery James /Alix Mathurin affleure.
Véritable voix des sans voix, MC au flow dévastateur et aux lyrics ciselées, Kery James nous offre un superbe album qui transpire la sincérité. Le rappeur s'élève et nous élève avec lui. Mouhammad Alix est aussi intimiste que provocateur, mais toujours avec intégrité. "Je l'ai fait pour moi (...) pour vous, je l'ai fait pour nous".