Biographie

Kenneth Thomas

Photographe, producteur, réalisateur, Kenneth Thomas évolue depuis 15 ans, via sa société The Scourge Productions, au sein des scènes indépendantes. Il a notamment réalisé des clips et trailers pour Neurosis, Isis, Queens of The Stone Age, The Residents, The Chameleons...
En 2012, il sort un documentaire, Blood, Sweat And Vinyl : DIY in The 21st Century, plongée au coeur des labels Neurot Recordings, Hydrahead et Constellation.

Chronique

12 / 20
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Blood, Sweat And Vinyl : DIY in The 21st Century ( 2012 )

Qu'est-ce qu'être indépendant au XXIe siècle? A l'heure où ferment les labels indés et où se concentrent les majors, répondre à cette question est ambitieux. C'est ce que tente de faire Kenneth Thomas dans son documentaire, Blood, Sweat&Vinyl : DIY in The 21st Century. Le mode opératoire est simple : plonger au coeur de 3 labels bien connus de nos lecteurs, Hydrahead, Neurot Recordings et Constellation, qui ont donné certaines des plus belles réussites de la scène "heavy", pour parler globalement, au cours de ces 20 dernières années. On citera en vrac et de manière non exhaustive Neurosis, IsisGodspeed You! Black Emperor, Oxbow...

5 ans de pellicule, des dizaines d'interviews et de captations live, 1h30 pour en dégager la substantifique moelle et une philosophie commune. Bien que le documentaire soit segmenté par label, il s'en dégage indubitablement des valeurs communes. Oeuvrer dans les milieux indépendants de nos jours, c'est avant tout partager une même vision de la musique, bienfaitrice et cathartique. C'est jouer la sincérité, privilégier la création à l'industrialisation. C'est également, pour les fondateurs des 3 labels, une confiance exacerbée mise en avant auprès des groupes : pas de contrat signé, pas d'obligation de rendement. En écoutant Aaron Turner (Hydrahead), ou Steve von Till (Neurot Recordings), on se rend compte que chaque label est une grande famille incestueuse. Neurosis a, on le sait, donné naissance à de nombreux rejetons (les projets solo de Steve von Till et Scott Kelly, Harvestman, ou A Storm of Light par Josh Graham) ainsi qu'à d'encore plus nombreux ersatz (Pelican, Isis, Rosetta). Chez les Canadiens de Constellation, les lineups sont mouvants autour des noyaux d'Efrim Menuck (Godspeed You! Black EmperorA Silver Mt. Zion), chacun jouant avec tout le monde. C'est ainsi que sont nés par exemple Hangedup ou Evangelista. On l'a bien compris, ces trois labels fonctionnent en cercles fermés (Oxbow passant de Neurot Recordings (An Evil Heat) à Hydrahead (The Narcotic Story)), une manière pour eux de se protéger et de renforcer leurs liens contre le monde extérieur.

Le cas Cave In est à ce sujet fascinant. Partant d'un Chaotic Hardcore sans concession (Until Your Heart Stops, 1999), le groupe a peu à peu allégé ses compositions pour dériver vers un Space Rock étonnant et s'est donné une orientation plus "pop" pour conquérir le grand public (Antenna, 2003). Malgré les diffusions répétées à la radio et sur MTV, ce fut un flop assez fracassant duquel le groupe a eu du mal à revenir. Il a fallu attendre 6 ans entre Perfect Pitch Black et White Silence, ce dernier opérant une synthèse réussie de tout ce qu'a à proposer Cave In.

Un autre point réussi du film est d'offrir un aperçu du travail des labels et des groupes, non seulement musicalement mais également graphiquement. Les interventions de Josh Graham et de Seldon Hunt permettent de se faire une idée de l'univers dans lequel ils ont mis la patte et qu'ils contribuent à créer, en parfaite harmonie avec le contenu des disques qu'ils illustrent.

Le propos du documentaire est étayé par de nombreuses séquences live, certaines historiques (les premiers concerts de Neurosis, de Cave In), d'autres plus récentes mais toutes venant appuyer que l'ensemble des groupes mentionnés dans le film puisent dans la scène une grosse partie de leur énergie pour continuer l'aventure. On sent qu'il y a eu un réel travail de Kenneth Thomas pour rechercher et incorporer ces moments éphémères. A cet effet, mention spéciale à l'extrait final de "BlindBlindBlind" où les choeurs de Thee Silver Mt. Zion brillent de mille feux, offrant ici une des séquences les plus intenses de la partie.

On pourrait s'arrêter là et conclure en faisant de ce Blood, Sweat&Vinyl, LE documentaire sur la scène indé d'aujourd'hui. Malheureusement, c'est loin d'être le cas. La question posée par le documentaire est ambitieuse et vitale pour une multitude d'acteurs à l'oeuvre à la marge des labels "officiels". Thomas n'offre qu'une réponse partiale et partielle, qui est loin d'être satisfaisante.
Loin d'être une immersion totale, le film prend souvent l'air d'une promo où tout le monde s'aime et rit ensemble sans offrir le recul nécessaire. Le traitement est léger et laisse en suspens d'autres questions : d'où viennent ces groupes? Où vont-ils? Comment s'en sortent-ils au quotidien? De quelle manière leurs pratiques ont-elle évolué avec les exigences de leurs auditeurs (on pense au téléchargement illégal)? Pour un Hydrahead, un Neurot, combien d'échecs?
De la même manière, ces trois labels sont devenus en quelques années de "majors" de la scène heavy indépendante, quitte à se mordre la queue. Cela fait quelques années qu'Hydrahead ne prend plus de risques dans son catalogue avec, en arrière-plan, le risque que tous ces groupes sonnent trop semblables pour se différencier et perpétuer l'idée d'avant-garde que tous revendiquent. On pense alors à Dischord, à l'early période d'Epitaph par exemple. Le parallèle eut été intéressant. Aucun de ces points ne fait l'objet d'une objection, le réalisateur se contentant de dérouler des success stories (à leur échelle) dans un monde de bisounours et discutable niveau Do It Yourself.

Tout cela laisse un fort goût de frustration à la fin du visionnage. Sans dénigrer le travail de Thomas, on se dit que 5 ans pour un tel résultat, c'est du gaspillage car la matière était là pour réaliser un film-référence sur le sujet et s'ouvrir à une diffusion plus large avec une vraie réflexion. Certes, il y a de belles images et le plaisir de partager un peu l'univers de groupes "qui comptent" mais le côté fanboy vient effacer toute once d'intérêt au propos initial du film. Dommage. Reste un documentaire pour les curieux, sans plus.

Blood, Sweat&Vinyl: DIY in the 21st Century (Trailer) from kenneth thomas on Vimeo.

Le documentaire est disponible en DVD sur commande ici et fera l'objet de projections concerts en France courant avril/mai 2012. Le détail, ici.

A écouter : A écouter, oui, à voir, bof.