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Biographie

Kendrick Lamar

Né en 1987 à Compton aux Etats-Unis, Kendrick Lamar est un rappeur prépondérant dans le paysage musical actuel.
S’attelant à proposer une musique conscience, populaire et hors des sentiers battus, sa carrière décolle en 2012 avec son second album, good kid, m.A.A.d city.
Fort d’un succès critique et commercial, ce fan invétéré de 2pac et d’Eminem s’accorde trois années pour sortir son nouvel album, To Pimp a Butterfly. A la croisée du Hip Hop, du Jazz, de la Soul et de la Funk, ce nouvel opus créé l’événement et déchaine les passions outre-atlantique, où Kendrick Lamar devient porte-parole d’une génération aux prises avec les injustices raciales.

Chronique

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6 commentaires (17.08/20).
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To Pimp a Butterfly ( 2015 )

Depuis la nuit des temps, chaque courant musical, chaque génération d’artistes, chaque espace-temps créatif donnent naissance à des êtres à part. Affublés d’une épée de Damoclès générationnelle, il est demandé à ces êtres hors du commun de porter sur leurs frêles épaules les espoirs des plus optimistes, ainsi que les réminiscences systématiques des plus grognons : « quand même, c’était mieux avant ». Si le Hip-Hop n’échappe évidemment pas à la règle, il possède, contrairement à d’autres genres, un bouillonnement de cultures capable de faire naitre les plus folles espérances. Kendrick Lamar, depuis Section.80 en 2011, impose pierre après pierre son hégémonie : tour à tour fédérateur, pionnier et fer de lance d’une génération en quête de repères. To Pimp a Butterfly est la quintessence de ce travailleur acharné, l’épaule sur laquelle nombre d’artistes se reposeront dans les années à venir.

Pour Kendrick Lamar, la tâche était titanesque. good Kid, m.A.A.d ctiy, paru en 2012, avait déjà réussi l’exploit de joindre unanimement les faveurs grandiloquentes du public et de la critique. Il faut dire que l’album, narrant les folles aventures d’un gamin de Compton vers une gloire amer, comportait déjà son lot de pépites. Et pas n’importe quelles pépites. Plutôt de celles venues au monde dans le lit d’un fleuve cristallin et ornées de diamants bruts scintillants de mille feux à faire pâlir l’arrière-train de Kim Kardashian. La production était féroce et Kendrick parvenait déjà à accomplir un tour de force : celui de plaire et d’instruire à la fois, selon le célèbre précepte d’Horace. (Si si, Kim Kardashian et Horace).
Des tubes en veux-tu en voilà, mais surtout un œil aiguisé sur un monde contemporain en pleine crise de puberté. Qui suis-je ? Où vais-je ? Pourquoi toi, homme blanc, aurais-tu davantage de droits que moi, homme noir ? Pourquoi ces traces d’un sombre passé peinent à se dissiper tandis qu’un président Noir est aux commandes ?
Plaire et instruire, disions-nous. Avec cet album, Kendrick Lamar peut se targuer d’avoir fait danser l’Amérique de sa gouaille provocatrice et de ses lyrics qui sentent la poudre.

La plus grande question que l’on pouvait se poser sur le nouveau génie du Hip Hop était bien évidemment « comment ». Comment diable va-t-il pouvoir offrir un successeur de la même trempe que son aîné ? good kid, m.A.A.d city ayant été un franc succès commercial, la crainte était justifiée. Combien d’artistes, après un coup d’éclat retentissant, se sont laissés avaler par la grosse machine commerciale qui nous entoure ? Combien ont cédé, après avoir vu se profiler au loin les sirènes d’un système capitaliste qui, par dessous tout, et avec la plus arrogante des ironies, se complet dans l’étouffement des talents révolutionnaires pour les transformer en vache à lait ? Les réponses à ces questions ne sont pas des plus agréables.
Tant d’un point de vue artistique qu’économique, les risques étaient immenses, l’incertitude totale. « Bitch don’t kill my vibe » clamait-il.

Et pourtant… Lors de la sortie (prématurée d’une semaine) de To Pimp a Butterfly, une seule écoute a suffit pour comprendre. Comprendre que nous n’avions rien compris.
Kendrick Lamar a entreprit une marche en avant vers la destruction des codes, des clichés, des frontières. La pochette d’abord, toute en puissance iconographique, où figure cette fameuse jeunesse noire-américaine tant éprise de cahots, sur le parvis de la Maison Blanche. Le concept, ensuite. Seize titres, une heure vingt, où le remplissage brille par son absence. L’artiste avait toutes les cartes en main pour revenir avec une succession de tubes creux, il nous offre au contraire un joyau Hip Hop monumental à la friction du (Free) Jazz de la Funk et de la Soul. Bien aidé par les productions léchées du sous-estimé Thundercat, mais aussi du grand Flying Lotus, le son est absolument parfait. La profondeur des compositions, la chaleur des instruments, la rondeur des voix, les détails innombrables, le genre d’album qui ne peut décidément pas vieillir.
Attention toutefois, To Pimp a Butterfly comporte son lot de « tubes » qui feront à coup sûr dandiner l’arrière-train de vos amis les plus coincés. King Kuta, These Walls, Alright ou encore le véhément The Blacker The Berry pour ne citer qu’eux.

D’un point de vue conceptuel, l’album est une charge incandescente à tous les niveaux. Le génie créatif de Kendrick Lamar se caractérise par cette capacité à créer une succession de morceaux plus alambiqués les uns que les autres, tout en laissant l’ouverture et la liberté nécessaire pour apposer son flow si particulier, tantôt susurré, frondeur, dépressif… Humain en somme.
To Pimp a Butterfly n’est pas un album qui s’appréhende à la première écoute. La construction d’abord, particulièrement alambiquée. Ce poème, qui se laisse découvrir peu à peu à mesure que l’on avance dans l’album et qui finalement nous amène sur une conversation hallucinante entre Kendrick et Tupac, alimentée par les thématiques de l’album. Ces propos, tirés d’une interview de l’artiste défunt, nous mènent à des constatations sur la situation sociétale de l’époque qui, nous le comprenons bien, n’a pas changé aujourd’hui, ainsi qu’à ses aspirations personnelles. La magie du montage au service du génie à l’état pur.
Les thématiques ensuite, allant de la déprime liée à la notoriété noyée dans l’alcool, en passant par le sort réservé aux Noirs dans la société, avec entre autres les violences policières dans Alright, ou le pamphlet Boom Rap sur l’incroyable The Blacker The Berry. Tant de détails fourmillent sur cette heure vingt de grande musique qu’il est impossible de tout révéler. C’est maintenant à toi lecteur de te plonger dans cet univers passionnant et d’y déceler les pièces d’un puzzle qui se complaît dans l’instabilité émotionnelle de la vie.

To Pimp a Butterfly est la réconciliation entre les anciens et les modernes. Tous les pans de la musique noire américaine sont ici représentés, assimilés et digérés pour aboutir à une œuvre magnanime et jusqu’au-boutiste, forgée dans le sang et l’incompréhension d’une génération perdue. Kendrick Lamar, prophète d’un Hip Hop conscient, intelligent et rassembleur vient planter avec panache le drapeau d’un nouvel ordre créatif, celui d’un chef-d’œuvre hors de toute convention, règle ou moralité. Laissons à présent cette œuvre dans les mains de la seule entité qui ne manquera pas de la juger à sa juste valeur : le temps.

A écouter : Encore et encore.