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Biographie

Kamasi Washington

Né à Los Angeles au début des années 80 de parents professeurs de musique, Kamasi Washington n'a eu de cesse d'avoir un instrument entre les mains. Après s'être initié à la batterie et au piano dans son plus jeune âge, c'est en essayant à douze ans le saxophone de son père qu'il choisit véritablement sa voie. Il perfectionnera alors son talent d'écoles en écoles jusqu'à percer comme que musicien de session pour des artistes d'horizons divers tels que Wayne Shorter, Herbie Hancock, Lauryn Hill ou Snoop Dogg.
2015 marque un tournant dans sa carrière avec, entre autres, sa participation à l'album To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar ainsi que la sortie de son premier album solo The Epic sur Brainfeeder, le label de Flying Lotus. Une œuvre de près de 3 heures, unanimement saluée par les critiques.

Chronique

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The Epic ( 2015 )

"Si la société de l'époque poussait les Afro-Américains dans un coin sombre, la musique permettait à certains de s'en échapper. J'ai donc compris que je voulais faire de la musique qui guide les gens hors de l'obscurité."

Lorsqu'un musicien inconnu du grand public ayant presque exclusivement travaillé sous la direction d'artistes de notoriété sort enfin un premier album en son nom propre, il arrive que celui-ci surpasse les espérances à un point tel que notre vision de la musique sera à jamais perturbée. Parvenir à redéfinir tout un genre avec est déjà en soi un exploit de taille mais la manière d'y parvenir fait souvent une grosse différence. Il arrive ainsi parfois que l'on se retrouve face à une œuvre d'exception qui allie l'exploit et la manière. À ce moment-là, il n'y a plus de doute possible. Son nom fera partie des plus grands.

En grandissant à Inglewood en Californie, dans le climat hostile d'un quartier secoué par les conflits entre bandes rivales, le jeune Kamasi Washington baigne dès son enfance dans la culture des gangs et l'explosion du Hip-Hop de N.W.A. Rien ne le prédestinait alors au Jazz hormis son cocon familial où il apprend à jouer batterie, piano et clarinette. Adolescent, il découvre sa voie en jouant sur le saxophone de son père et s'initie à l'étude de son futur instrument de prédilection. Troquant l'attrait des armes à feu et de la violence pour le solfège, Kamasi s'entraine sept heures par jour jusqu'à rassembler assez de musiciens pour se produire en public. Alors qu'il jouait chaque semaine avec son groupe The West Coast Get Down au Piano Bar, un club perdu au centre de Los Angeles, il fit un soir la rencontre de Steve Ellison alias Flying Lotus. Celui-ci lui proposa de sortir un album sous son label. Aucune consigne. Aucune ligne directrice. Kamasi a carte blanche. C'était en 2010.
Il lui aura fallu cinq ans. Cinq longues années pour mettre sur pied ce monument, profitant de sa réputation grandissante pour tourner aux côtés de nombreux rappeurs comme Snoop Dogg ou Nas et participer à l'enregistrement de You're Dead! de Flying Lotus ainsi que de l'immense To Pimp A Butterfly de Kendrick Lamar.

Aussi ambitieux que pouvaient l'être les albums de Sun Ra ou de John Coltrane à leurs sorties, The Epic est un avertissement envoyé à une industrie musicale en constante recherche de simplicité. À des années-lumière de cette vision et pendant plus de 170 minutes, Kamasi et ses acolytes récitent le Jazz sous toutes ses coutures, passant entre autres du Spiritual (Leroy And Lanisha) à la Soul (The Rhythm Changes) tout en empruntant à la Fusion (Cherokee) avec une facilité déconcertante. Étonnants au premier abord, ces changements d'un titre à l'autre révèlent à terme une certaine cohérence. On notera également de grands moments d'histoire tel l'hommage à Malcom X (Malcom's Theme) ou encore la somptueuse réinterprétation du Clair De Lune de l'impressionniste français Claude Debussy, presque cent ans après sa mort.
S'apercevoir qu'en trois heures de temps l'intérêt ne retombe à aucun moment nous plonge dans une écoute surréaliste. Dépassant régulièrement la dizaine de minutes, chaque morceau est une œuvre en soi qui mériterait une chronique individuelle. Que ce soit sur des bases solides auxquelles il ne manque qu'un grain de folie amené par une soudaine improvisation ou à l'inverse débutant sur une improvisation qui progressivement solidifiera les fondations d'un morceau, l'alliance de ces facettes nous fait voyager à travers des décennies de Jazz. C'est un imaginaire sonique qui grandit et se met en place, empruntant aux références de la musique moderne comme aux antiques civilisations africaines (Final Thought).

Mais The Epic n'est pas son premier album à proprement parler. Le plus ancien remontant à 2004 avec son premier groupe Young Jazz Giants, composé en quartette dont le batteur et le pianiste qui n'ont pas quitté notre saxophoniste depuis se retrouvent aujourd'hui sur ce nouvel album. Les mordus de Jazz n'auront de cesse de vous le répéter. Bien que les sorties du genre soient le plus souvent recentrées autour du compositeur principal, l'importance du band est primordiale. Kamasi le sait et sa vision du Jazz band est aussi hors normes que pointue. Un pianiste associé à un claviériste, deux batteurs accompagnés d'un percussionniste, le célèbre bassiste Thundercat épaulé par un confrère en version acoustique et enfin les tromboniste et trompettiste qui ferment les rangs formant avec Kamasi et son saxophone ténor un trio de cuivres chaud. Les parties vocales sont quant à elles tenues par un couple de solistes qui savent tout aussi bien chanter séparés qu'à l'unisson (The Rhythm Changes).
Un groupe façonné à l'image d'un véritable orchestre de Jazz afin d'obtenir une palette de sons aux couleurs variées pour un rendu optimal en un effectif deux fois moindre. Ajouté à cela, ce ne sont pas moins de 20 choristes conviés à l'enregistrement de The Epic pour un total de 32 musiciens et tous font preuve d'une virtuosité bluffante jusque dans les moindres recoins des trois heures qu'il comporte. Une performance hors du commun pour un album qui fera date dans le panthéon du Jazz, sans le moindre doute.

Évidemment, une telle durée est un vrai challenge tant pour les musiciens que pour l'auditeur. Il contient pourtant bien assez de créativité pour justifier un tel choix. Comment réussir alors à assimiler près de trois heures sans décrocher ne serait-ce qu'un instant en cours de route ?
Le secret réside dans son découpage. En réalité, The Epic est composé de trois volumes distincts à savoir The Plan, The Glorious Tale et The Historic Repetition, des titres forts dont on ne peut que constater les contextes politico-sociaux auxquels ils réfèrent. La clé est de prendre le temps d'assimiler chaque album individuellement. Une fois les trois volumes cernés, et en s'assurant de n'avoir rien d'autre à faire pour les trois prochaines heures, il est temps si le cœur vous en dit de vous lancer dans une écoute complète et sans interruption pour véritablement prendre conscience du coup de maître accompli.

De par son parcours et son travail acharné, Kamasi Washington se présente d'emblée en modèle à suivre. Un modèle qui ne devrait pas tarder à se transformer en icône d'une génération comme son confrère Kendrick Lamar. On peut déjà percevoir sa silhouette brandissant son saxophone tel un bouclier et dont les mélodies insufflées dans son bec guident les gens hors de l'obscurité. À travers la ségrégation et les échauffourées entre gangs, certes, mais qui à présent prend une tout autre ampleur en dépassant les frontières.
Vous pensez encore que The Epic est un titre trop présomptueux ?

A écouter : Tout, encore et encore...
Kamasi Washington

Style : Jazz
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Origine : USA
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