Kalisia accouche de Cybion après 14 ans de gestation, rien que ça. Mais une fois qu’on a l’album dans les mains, puis dans les oreilles, il faut bien admettre qu’il aurait été difficile d’aller plus vite pour réaliser un disque de cette ampleur.
Cybion mérite mille superlatifs. D'abord dans sa forme : Kalisia propose un concept-album plein d'ambition, très cinématographique. L'histoire racontée est complète et cohérente. Pour la résumer très succinctement, elle relate la rencontre et ses conséquences entre une race d’extraterrestre et les humains.
Le groupe pousse même jusqu'à inventer une langue, le Kal, dans laquelle s'expriment les extra-terrestres. Les personnages humains et la narration sont chantés en anglais, et l'opposition des deux langues renforce l'immersion dans le scénario (même si deux courts passages chantés en français pourraient légèrement fragiliser la cohérence de l'ensemble).
Musicalement, le groupe est clairement à estampiller death-progressif très mélodique mais ne se limite pas à ce genre là et incorpore des éléments qui surprennent parfois, comme du saxophone ou une ambiance électro-rock à la Muse. A l'instar d'un Opeth, qui ventile ses titres les plus furieux par des interludes acoustiques de toute beauté, Kalisia choisit d'aérer Cybion par quelques passages planants, ici plutôt teintés de samples et d'ambiances cyborg, qui servent à nouveau le thème global, axé science-fiction.
En plus de l'ambiance futuriste, les claviers ont aussi la charge de donner une dimension space-opera tout à fait épique. Dans l'échelle du grandiloquent, il y a Time de Wintersun, suivi de la bataille du Gouffre de Helm dans le Seigneur des Anneaux, et après, tout en haut, il y a l'outro de Cybion.
Les guitares sont lourdes, puissantes, et les mélodies précises et faciles à retenir. Les leads sont nombreux, propres et techniques, autant à la guitare qu'aux claviers (le tout dernier solo de guitare donne des frissons !). L'album étant composé d'une seule piste de plus d'une heure, de nombreux thèmes mélodiques récurrents permettent de donner des repères à l'auditeur. En revanche, certaines parties semblent parfois s'éterniser, peiner à transiter vers la prochaine phase, et les rappels mélodiques qui structurent l’écoute auraient gagnés à être un peu plus nombreux.
Le chant est tantôt clair mais passé au vocodeur (dans le style de Cynic), tantôt en growls qu'on qualifiera de suffisamment convaincants. La chanteuse du groupe grenoblois Auspex assure aussi quelques chants féminins très bien pensés. Ces trois types de chants complémentaires amènent une légitimité aux multiples personnages du scénario.
Côté rythmique, on n'est pas en reste non plus. Le batteur est un monstre de technique, aussi à l'aise dans les passages jazzy qui groovent que dans les blastbeats. D’ailleurs, même lors des parties les plus brutales, le jeu de batterie apporte souvent une touche de finesse . En dehors de la structure de l’album en une seule chanson, la batterie y est pour beaucoup dans l’aspect progressif de la musique de Kalisia. Chose assez rare pour être mentionnée, la basse est audible pendant presque tout l'album, et offre même quelques solos.
Pour prolonger l’expérience, le livret contient un glossaire qui reprend par ordre alphabétique tous les éléments importants de l'histoire (personnages, lieux...), mais aussi les paroles, notamment celles prononcées par les extra-terrestres qui apparaissent en triple : la graphie Kal, leur prononciation, et leur signification en anglais.
Kalisia ne s’arrête pas là et inclut pour l’édition physique un disque bonus, intitulé Origins. Il contient les quatre titres (remasterisés) de la démo Skies devenue introuvable, plus quatre reprises, et pas des moindres : Dream Theater, Cynic, Emperor, et Loudblast. "Toujours plus" semble être leur mot d'ordre, puisque ces quatre covers bénéficient de guests tout simplement hallucinants : Angela Gossow (ex Arch Enemy), Paul Masvidal (Cynic), Christophe Godin, Ludovic Loez (SUP), Tom MacLean (To-Mera, ex Haken)...
Les quatre titres, bien que très différents entre eux, restent cohérents dans l’univers de Kalisia, grâce à certains passages que le groupe s’approprie, ou au choix des sons du synthé souvent un peu plus modernistes. Mais globalement les reprises sont fidèles, apportant surtout du fan-service très réussi plutôt qu’une prise de risque.
Les Montpelliérains signent avec Cybion un album mature et très complet, certes (trop ?) longtemps maturé mais pour un résultat hors du commun au niveau de ses ambitions, et qui satisfait donc largement les attentes suscitées par le complexe processus de création du disque.
Il n’y a plus qu’à espérer que le prochain album de Kalisia sorte avant 2050...
A écouter : En boucle, dans l'autoradio du Millenium Falcon