Joy Division

Post-Punk / Cold Wave

Royaume-Uni

Control

2007

Chronique

par Senti

Ce n'est qu'après une longue et mure réflexion que Anton Corbijn, photographe émérite de Joy Division et également réalisateur de l'excellent clip du vaporeux "Atmosphere", se lance dans la réalisation d'un long métrage dédié à Joy Division et à la courte vie de leur emblématique chanteur. Une aventure telle une descente aux enfers, faisant ressurgir des souvenirs douloureux mais aussi marquée par des instants touchants de gloire et d'innocence juvénile. Le résultat est un drame en noir et blanc à l'esthétisme fou, authentique et juste, rythmé par les battements de cœur d'un jeune homme que la mort a pris trop tôt, ou plutôt, que la vie n'a que partiellement adopté.

Control, dont le nom est tiré d'une des compositions phares de Joy Division ("She's Lost Control"), écrite durant un tournant de la vie de Curtis, tire ses fondations de l'ouvrage de Deborah Curtis, Ian Curtis et Joy Division, Histoire d'une vie.  En ce sens, le film de Corbijn met l'accent sur les tiraillements sentimentaux de Ian avec une grande force. Marié trop tôt, père trop tôt, Ian voit son couple comme un fardeau et une erreur de jeunesse qu'il paye le prix cher, et ce, malgré l'amour sans faille que lui porte Déborah, magistralement interprété par Samantha Morton. Délaissant sa fille et sa femme dans la grisaille de Manchester pour les éclats de Joy Division et de sa séduisante amante, Annik Honoré, Ian est rongé par la culpabilité, un sentiment qui se veut de plus en plus pesant tout au long du film.
Outre ce thème central, Corbijn développe avec une grande justesse l'ascension fulgurante d'un groupe devenu culte en deux disques et abattu en plein vol aux portes d'une tournée aux Etats-Unis. De Warsaw à la naissance de Joy Division, nom choisi pour son côté provocateur (appellation des bordels allemands durant la seconde guerre mondiale), des premiers concerts nocturnes après le travail aux salles combles et surexcitées, Control restitue le battement de paupière vif et intense qu’a été Joy Division. Baigné dans l'atmosphère authentique de la fin des années 70's, Control renvoie au "No Future", au désœuvrement de la classe ouvrière et des laissés pour compte et aux névroses de Ian Curtis, un homme déboussolé qui trouve en Joy Division un dérivatif. Ian vit le groupe comme un exutoire qu'il exprime par des paroles imprégnées de son vécu et par une gestuelle particulière ponctuant ses phrasés graves et habités. Une gestuelle parfaitement retranscrite par Sam Riley qui permet aux scènes "lives" de rendre un hommage sans faille aux prestations de Joy Division. On ne regrettera que la faible mise en avant de Martin Hannet, personnage central des disques de Joy Division, que l'on aperçoit l'espace de l'enregistrement de "Isolation", ainsi que l'absence de reconstitution du mémorable et tragique dernier concert à Birmingham. Un ultime coup d'éclat durant lequel Ian Curtis, terrassé par une crise d'épilepsie en plein show, remonte sur les planches prononcer ces dernières frasques.
Au sujet des raisons du suicide de Curtis l'année de ses 23 ans, Control laisse planer le doute et ne prend aucun parti : La culpabilité d'être un mauvais père additionné d'un piètre mari, le remord de son engagement précipité auprès de Déborah, ses sentiments troubles à propos de Annik, un public qui lui en demande toujours davantage alors qu'il donne déjà tout, les fréquentes crises d'épilepsie, ou l'accumulation de tous ces éléments qui le plonge dans une situation affective inextricable et finalement solutionnée par une corde au cou. Anton Corbijn a pris l'initiative de se placer le plus souvent du point de vu de Deborah mais sans que cela porte préjudice un seul instant au personnage complexe de Ian. Les faits sont exposés, bruts et à vif. Les émotions suscitées par leur entremêlement et leur enchainement n'en sont que plus sincère.

Adressé aux amateurs de Joy Division, qui y trouveront une retranscription sincère et touchante autant qu'à ceux ne connaissant les mancuniens que de nom (et de réputation), car ces derniers feront au moins une grande découverte musicale, Control scotche littéralement à l'écran, et ce, malgré les quelques longueurs que les moins sensibles d'entre nous auront vite fait de pointer du doigt. Injustement peut être, car ils symbolisent sans détour les creux et trous noirs d'une vie ponctuée par le meilleur comme par le pire. Que ça ne vous empêche en rien d'aller voir Control, ne serait-ce que pour la performance de Sam Riley, rigoureuse et véritablement habitée par une âme.

16

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Les critiques des lecteurs

Moyenne 16.8
Avis 5
Florentino August 23, 2008 17:36
Le vieux fan que je suis, se réjouit que "Control" soit une heureuse réussite.

C'est un joli film qui éclaire un destin mythique sans rendre le suicide glamour.
16 / 20
Caillou October 25, 2007 13:58
L'ai vu hier, pas encore atterri... juste un immense film, vraiment scotchant grâce à un sens de l'esthétisme hors du commun, entre tant d'autres choses... chef d'oeuvre.





Merde, j'ai commandé Unknown Pleasures...
18 / 20
Turtle October 9, 2007 23:34
Belle oeuvre cinématographique, portée par un couple bande son/esthétisme noir et blanc sublime. A prévenir pour les futurs spectateurs tt de même, que Control tourne d'avantage autour du personnage de Ian Curtis que du groupe de Joy Division.

Mais quel destin !, semblable à une vraie tragédie, aux errances parfaitement illustré par ce film (l'insistance sur les paroles, reflet des pensées de Curtis).

Joy Division a tellement influencé d'artistes, son aura se ressent tellement, encore aujourd'hui, qu'il fallait bien un film, pour rappeler son importance. C'est chose fait.
16 / 20
Lyra October 9, 2007 10:41
Magnifique critique cinématographique!

ILY
17 / 20