L’Amérique reprendrait-elle ses droits ? Après la salve Scandinave de ces dernières années dont Christian Kjellvander, Kristofer Aström, ou encore Mattias Hellberg se sont fait les porte-drapeaux, c’est désormais à Seattle que sont ravivées les plus belles cicatrices du folk traditionnel. Damien Jurado et la douce Jesse Sykes avaient déjà ouvert la voie un peu plus tôt à leur petit protégé, un jeune bluesman vagabond parti sans but depuis New-York avec sa guitare et quelques cassettes démos dans le fond de sa poche poussiéreuse. Josh Tillman trouvera à son terminus, la capitale de feu la scène grunge, les Pygmalion dont il avait fondamentalement besoin. Deux mentors contemporains qui lui permettront de laisser éclore sa sensibilité americana sur Minor Works, son réel premier album à la saveur plus qu’inattendue.
Dénué de toute expérience dans un style largement exploré depuis près de 40 ans, la tâche de ce garçon né en 1981 ne s’annonçait donc pas facile. Malgré cela, Josh Tillman fait preuve d’une maturité d’écriture déroutante, via neuf titres émouvants de nostalgie et d’intimité. Neuf ballades-soupirs qui repoussent l’inextinguible assaut du souvenir douloureux, tantôt dans le plus simple appareil acoustique (le sublime Minor Works notamment), tantôt aidés par une rythmique des plus sobre, un harmonica au séduisant effet anachronique, des cordes plaintives, ou un banjo utilisé d’une façon totalement dépourvue de clichés. Tout cela s’imbrique avec un tel raffinement, une telle habileté, que l’on arrive parfois à des moments mélodiques vibrants tels Jesse’s Not A Sleeper (le hit de l’album), For An Hour With You, ou encore With Wolves. Le timbre de voix de Tillman n’y est certainement pas étranger, celui-ci faisant preuve d’une délicatesse évidente avec son trait aussi brumeux que le climat de Seattle tout au long de l’année.
Certes, les noms de Neil Young ou The Band refont forcément surface à un moment donné, mais on sent tout de même plus ici le week-end déprimé et pluvieux devant les carreaux sales d'une fenêtre que la rosée revigorante de la campagne verdoyante. Telle l’œuvre de ses deux tuteurs, une vraie proximité parvient à s’installer. Et c’est bien là le principal dans un style qui paraît si cloisonné, presque frappé d’ascétisme de prime abord.
Quand on sait enfin que les songwriters folk se bonifient avec l’âge, et vu la qualité de ce premier album, on se dit que Josh Tillman pourrait sans peine acquérir une stature d’envergure à l’avenir. Dans l’immédiat, on se contentera simplement d’en faire un grand espoir du genre, et de se repasser ce Minor Works dont le titre est décidément bien trompeur.
A écouter : Jesse's Not A Sleeper, For An Hour With You, Restlessness.