On a le droit de ne pas aimer Bridge, parce que Joey Cape ne s’est pas foulé, parce que ça fait plus "chansons d’après-midi d’automne" qu’œuvre historique. Un peu trop mou, un peu trop déjà entendu, un peu trop simpliste quoi. On a le droit de ne pas aimer Bridge aussi et surtout parce que ce disque sort un mois après le dernier Ep de Lagwagon et qu’on retrouve 5 de ses 7 titres dans des versions accoustico-solo et que c’est un peu beaucoup du foutage de gueule d’utiliser un même matériel pour faire deux disques dans une même période (Reste à savoir auquel des deux projets ces compositions étaient d’abord destinées…). On a enfin le droit de ne pas aimer Bridge, parce que Joey Cape est un dieu de la musique et que lorsqu’on est capable de créer de l’or, il est vraiment dommageable de ne faire que du bronze.
Bref, on l’aura compris, y a de quoi sortir les pancartes de manif’ et se réunir à Répu’ pour faire un sitting en réaction à cette sortie. Le problème, c’est que dans l’attente de l’arrêt de la circulation, on nous met les 12 titres. Et là, c’est le drame. Les mines colériques s’attendrissent, la foudre des regards se change en ondée brouillée et la protestation devient muette à cause de cette foutue boule dans la gorge qui empêche la montée des râles. S’en est fait de nous… une nouvelle fois. Car Joey Cape possède et possédera toujours une émotion unique lorsqu’il est guitare en main. Donc la suite des accords, on a beau l’anticiper, au bout du compte on offre quand même vaillamment le torse pour se faire planter la même satanée flèche. A la Maréchal Ney : "Droit au cœur !"
Avec quelques franches réussites comme la mélancolique "The Ramones Are Dead", l’envoûtante "Errands" ("Errands, errands why don't you think they'd understand?"), la poignante "We’re Not In Love Anymore" ou l’éthérée "Canoe" et sa fin (c)hanté par le délicieux gazouillement enfantin de la fille de Joey, Bridge possède un vraie belle entame, touchante au possible, servi par un song-writting d’une classe sans nom et par un travail minutieux des arrangements (guitare doublée, claviers, multiplicité/diversité des instruments à corde). C’est suffisant pour l’écouter beaucoup de fois, paroles en main, émotion au cœur. C’est en revanche trop peu pour prétendre à la posture "d’œuvre consacrant son poète". Car Joey Cape est un poète, comme il n’y en a malheureusement plus beaucoup. Il n'y a qu'à écouter Minus pour s'en convaincre.
A écouter : "Errands", "We're Not In Love Anymore", "Canoe"