logo Jesu

Biographie

Jesu

  Godflesh à peine refroidi, Justin Broadrick fonde Jesu en 2003 dans sa bonne ville de Birmingham. En septembre 2004, il sort un mcd intitulé Heart Ache e.p. conçu aux studios Avalanche. Pour l'enregistrement de son premier album Jesu, il s'entoure du batteur Ted Parsons (ex-Swans, ex-Prong, ex-Godflesh) et du bassiste Dermott Dalton (ex-Cable Regime, ex-Godflesh).

Au cours de son existence, le groupe développe une personnalité singulière, à la croisée de plusieurs genres et met sur le marché de nombreux disques pour le compte de labels aussi prestigieux que Hydra Head ou Matador. Justin Broadrick choisit par la suite de fonder son propre label, Avalanche Records, lui permettant de gagner en indépendance (et en revenus). Fin 2020, après 7 ans sans albums, Jesu sort un nouveau disque intitulé Terminus, couplé à l'EP Never quelques mois plus tôt. Justin y enregistre tous les instruments, à l'exception de quelques parties de batterie signée Ted Parsons, qui y officie en tant qu'invité. 

14 / 20
4 commentaires (16.5/20).

Conqueror ( 2007 )

Surtout ne pas se laisser submerger par le doute qui a pu surgir après le décevant Silver. En chasser l'appréhension, le mauvais pressentiment qui ne manquera pas de se manifester à l'heure de poser l'oreille sur la nouvelle mouture de Jesu.  Tenter de réfréner l'envie de tout envoyer balader qui surgira obligatoirement dès que résonneront les premières notes de Conqueror.

Broadrick ne fait pas partie de ces surdoués dont le génie se détecte à la première écoute. D'où l'absolue nécessité de bien s'imprégner de l'oeuvre, d'en cerner les caractéristiques et la problématique. En quête perpétuelle de nouvelles sonorités l'anglais, tel un limier, fouille dans tous les buissons de la période post punk, renifle, fouine, creuse, déterrant quelques bribes brit pop par-ci, ramassant quelques rameaux de cold wave par là, mais affirmant un intérêt tout particulier pour la période shoegaze et les sonorités compressées de My Bloody Valentine - un peu trop flagrantes sur le très bon "Medicine" - sentier par lequel il tente désormais d'exprimer son nihilisme viscéral. Jesu se complait dorénavant dans un univers totalement éthéré, imperméable à la colère la plus brute, mais évoluant toujours dans une atmosphère embrumée où règnent mélancolie ("Old Year") et tristesse ("Weightless & Horizontal"), emporté par le chant vaporeux d'un Broadrick plus sensible désormais aux vocalises qu'aux cris compulsifs. Prometteur, donc.
En apparence seulement car, aussi louable soit sa volonté d'expérimentation, impossible de ne pas ressentir une certaine déception en raison notamment d'une tendance au polissage omniprésente depuis Silver. En effet, même si Conqueror fourmille de bonnes idées, Jesu semble dépourvu du ressort nécessaire pour les faire évoluer, bloqué au ras des fraisiers dans une démonstration un peu trop "easy listening" - au sens littéral - conséquence d'une altération sensible de l'effet caterpillar qui, jusqu'à peu, constituait l'immuable raison d'être, la marque de fabrique du sieur Broadrick chez Godflesh, Final, Techno Animal mais également sur Heart Ache et l'album éponyme. Ce manque couplé à un défaut d'inspiration tant sur le plan de la construction des morceaux - on retrouve quasiment le même schéma de composition du premier au dernier titre - que sur certaines mélodies ("Mother Earth", "Transfigure"), projettent Conqueror dans un systématisme absolu difficile à dépasser même animé de la meilleure volonté.

Cette dernière production n'est donc pas encore la manifestation ultime tant espérée. Pourtant, même si Jesu semble s'être planté, une fois de plus, Conqueror apparaît paradoxalement comme porteur d'espoir, tant sur le plan de l'ambition, la puissance et l'émotion. Reste à répartir au mieux les proportions. A condition de réfrener sa boulimie de composition - l'équivalent de trois albums en trois ans - et en n'anticipant pas sur la maturation des choses, Broadrick possède indéniablement le potentiel pour (re)trouver l'équilibre. Wait & See...

Ecouter Conqueror en stream

A écouter : Old Year, Medicine, Brighteyes
14 / 20
3 commentaires (15.33/20).
logo amazon

Silver ( 2006 )

Certains héritages sont lourds à porter. Celui de Godflesh aurait pû l'être si Justin Broadrick n'avait eu la force de rompre les amarres de manière définitive, démontrant par là-même qu'il disposait des ressources pour se refaire la cerise. Exit Godflesh donc. La machine Jesu semble désormais bien lancée et de fort belle manière en témoignent les deux premières fournées 2005 du rejeton de Birmingham.

Broadrick fait partie des insatiables. De ceux dont la musique constitue l'unique raison de vivre. Aussi, rien d'étonnant à ce que, l'album éponyme et le HeartAche ep à peine digérés, Silver nous apparaîsse comme par enchantement, juste au moment où l'on pensait le génie britton occupé à revitaliser Final, son délire d'adolescent.
Il fait également partie des imprévisibles. Là où l'on ne pressentait ni plus ni moins qu'une extension de Jesu, Silver surprend par sa sonorité douce, très claire et son ambiance feutrée, quasi shoegaze que l'on n'attendait pas aussi poussée. L'impact des parties de guitare apparaît quasi systématiquement atténué par des nappes de synthé occupant une place de plus en plus importante au sein du dispositif. De plus, les cris compulsifs qui constituaient il y a encore quelque temps sa marque de fabrique, laissent désormais entièrement la place à des lignes de chant plus élaborées, sur lesquelles se pose une voix plus charnelle, également plus chargée sur le plan émotionnel, le tout s'inscrivant dans une atmosphère aujourd'hui plus proche de My Bloody Valentine que de Big Black.

De là à dire que Broadrick a mis de l'eau dans son vin il n'y a qu'un pas, assez difficile à franchir cependant. En effet, même si le mid tempo Star recèle un côté pop pouvant presque faire le bonheur des dance floors, Silver présente toujours un côté torturé mis en exergue par les infra basses de Dermott Dalton, notamment sur l'excellent Dead Eyes, dégoulinant de lourdeur, et l'orgue funèbre de Wolves prouvant bien que Broadrick est loin d'en avoir fini avec ses inhibitions.  

Toutefois, malgré son indéniable qualité, difficile de sortir pleinement satisfait de Silver. En effet, même si la volonté de Broadrick d'élargir encore plus son angle d'attaque s'avère louable, son inspiration semble ne s'arrêter qu'au stade de la bonne idée. L'adjonction d'arrangements un peu trop faciles et éculés, assez peu en rapport avec son potentiel créatif, freinent quelque peu l'évolution des morceaux, laissant un arrière-gout d'inachevé qui, à la longue, peut s'avérer rédhibitoire.

Certains diront que même un album moyen de Broadrick est toujours bon, d'autres qu'il est un échec. Eternel problème de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Malgré tout, même si Silver entre dans cette catégorie et peut apparaître en deçà de ses possibilités, il convient de louer cette prise de risque qui devrait s'avérer payante et lui permettre de ne pas réitérer les même erreurs qu'avec Godflesh.

Télécharger extraits.

A écouter : Wolves, Dead Eyes
18 / 20
4 commentaires (18.25/20).
logo amazon

Heart Ache ( 2004 )

Finalement, Justin Broadrick n'aura pas longtemps porté le deuil de Godflesh. Environ un an et demi après la disparition du groupe mythique de Birmingham, le voici qui reprend seul la direction des studios Avalanche et remet le couvert sur un mcd de quarante minutes, avant-première d'un album à paraître incessamment sous peu chez les joyeux drilles d'Hydrahead Records.

Composé de deux morceaux de vingt minutes chacun ("Heart Ache" et "Ruined"), Heart Ache ressemble quelque peu à un marathon et constitue une sacrée performance pour Broadrick qui, par le passé, ne s'est essayé que peu de fois à exploiter des morceaux de cette envergure ("Go Spread Your Wings", "Pure II"). De plus l'album est tellement bien découpé qu'il ne parait jamais long, quelques plages de repos ayant été astucieusement aménagés laissant croire qu'il est composé de plusieurs chansons.

Sous le nom de Jesu (ultime morceau de l'album Hymns de Godflesh), Broadrick reprend plus ou moins les mêmes ingrédients qui ont fait pendant des années l'originalité et la force de Godflesh à savoir une basse de plomb, une guitare sous accordée, un léger delay sur la voix, ainsi que la sacro sainte beatbox. On reste donc dans un univers très structuré, faussement minimaliste, n'offrant pas, à première vue, de grands chamboulements.
Toutefois, une oreille plus attentive permet de constater que les sources d'inspiration de Broadrick se sont diversifiées. Même si sa musique reste toujours diamétralement opposée à celle des Machucambos, et autres rois de la fiesta, on sent venir les prémices d'une nouvelle orientation qui, si la tendance se poursuit, devrait l'amener à s'affranchir en partie du nihilisme musical qui présidait chez Godflesh. A ce titre, Heart Ache doit, à mon sens, être perçu comme une extension, un pont dressé vers une autre direction.
En effet, même si l'assise reste toujours très métal, il semblerait que, dorénavant, Broadrick se consacre davantage sur les ambiances, à l'instar un peu de ce qu'il faisait sur des morceaux comme "The Internal", "Don't Bring Me Flowers" ou "Life is Easy". Les nappes de synthé sont plus présentes, constituant même l'essentiel de la  rythmique de la seconde partie de "Heart Ache" et l'adjonction de piano sur "Ruined" donne au travail de Broadrick un caractère mélancolique et souple auquel on était peu habitué. L'introduction rappelle assez Zend Avesta et certaines ambiances ne sont pas sans évoquer une douce froideur proche de Massive Attack que vient renforcer le timbre clair et un peu lointain de la voix de Justin.
  
L'embellie apparente va même jusqu'à se poursuivre au niveau de l'artwork. Extrêmement soigné, comme toujours, le livret propose la vue d'un champ de blé ou de luzerne - peu importe - rompant radicalement avec l'imagerie très austère, habituellement en vigueur chez Godflesh. Cependant, il semblerait que cette éclaircie ne soit que passagère, comme le suggère l'amoncellement de nuages dans le lointain, mais surtout le projet de cover pour le prochain album qui montre clairement que Broadrick s'est vite lassé des ambiances bucoliques.

Dans l'ensemble, Jesu constitue une heureuse surprise appelée à évoluer Broadrick devant, pour l'enregistrement du nouvel album, retrouver une formation beaucoup plus traditionnelle avec Ted Parsons à la batterie et Dermott Dalton à la basse. En attendant, Heart Ache constitue l'occasion rêvée pour les fans de fermer définitivement la page Godflesh et de se lancer à corps perdu dans cette nouvelle aventure. Quelque chose me dit qu'ils ne le regretteront pas.

A écouter : Les deux
17 / 20
3 commentaires (18/20).
logo amazon

Jesu ( 2004 )

Les dernières productions de Godflesh nous avaient laissé un brin dépité par leur manque de motivation et de créativité. En effet, près de douze années après "Street Cleaner", une apparente lassitude s'était installé en plein coeur du projet, preuve que Broadrick semblait avoir tout dit mais n'osait se résoudre à mettre à mort ce qui fut l'essentiel de sa vie jusque ici. Désormais débarassé de ce fardeau, il semblait avoir retrouvé une sérénité musicale et une nouvelle inspiration, ce que tendait à confirmer le dernier enregistrement de Jesu, "Heartache ep". Toutefois, on attendait Broadrick sur un projet si non plus ambitieux, du moins sur la distance.

Sorti au tout début 2005 sur le label Hydra Head de Aaron Turner, qui a d'ailleurs participé à la confection du design, "Jesu" étire langoureusement son incroyable longueur d'une heure et quart au gré de ses huit morceaux dont la moyenne frise les 9 minutes. Aidé de musiciens qui ont en point commun de l'avoir cotoyé un jour ou l'autre - mais à qui il n'a confié que des tâches exécutives, la composition n'étant que de son ressort - Broadrick évolue dorénavant dans des sphères soniques que ne lui permettaient pas d'atteindre l'univers froid et brutal de Godflesh.

Le caractère multidirectionnel est l'aspect le plus flagrant de "Jesu". Tout en conservant une certaine homogénéité, Broadrick met un point d'honneur à ne se fixer aucune limite.
Ainsi, dès "Your Path To Divinity" qui introduit l'album, Jesu développe une ambiance atmosphérique où une voix éthérée tient le rôle de catalyseur d'émotions, le socle rythmique bulldozer habituel étant toujours présent mais relégué au second plan. La mise en avant des synthés constitue également une nouveauté, notamment son utilisation. Cantonné dans un rôle assez mélodique, au début de "Friends are Evil", instaurant même un sentiment de mélancolie, l'instrument mute juqu'à adopter une fréquence hypnotique en fin de morceau.
"Walk on Water" mais surtout "We All Faulter" permmettent à Broadrick de retomber sur un terrain moins étrange, où les ambiances atmosphériques de l'orgue laissent la place à une basse très lourde et hyper saturée pour deux morceaux à la tendance cold wave flagrante et où le chant se rapprocherait assez de celui des Sisters of Mercy.
Mais l'apothéose est certainement atteinte lors de l'exécution de "Man/Woman", classique et peu surprenant venant d'une personne ayant écrit les extrêmes "Weak Flesh" ou "Mighty Trust Crusher", mais qui s'avère être un sommet de brutalité en regard des autres morceaux de l'album. Les parties de guitare développent des volutes bruitistes dignes de "Street Cleaner" amenées par des cris compulsifs et un beat puissant, montrant que Broadrick n'est pas encore enclin à faire table rase du passé.

Au final, "Jesu" constitue une heureuse surprise à laquelle de nombreuses personnes ne s'attendaient peut-être pas, moi le premier. Aussi douloureux qu'a dû être le sabordage de Godflesh, celui-ci a offert à Justin Broadrick de nouvelles perspectives et, paradoxalement, ouvert les portes d'une nouvelle ère musicale dont on ne doute pas qu'il tire le meilleur profit. C'est en tout cas bien parti. 

A écouter : We All Faulter, Tired of Me, Man/Woman