Il a donc fallu deux ans pour qu’Incubus délivre enfin le permis de dégoupiller ses treize Light Grenades. Les californiens, avec ce sixième opus, mettent immédiatement les choses au clair concernant leur orientation musicale. Le cheminement rock débuté sur A Crow Left Of The Murder n’est pas près de virer à la simple promenade. Un choix qui ne satisfera pas les nostalgiques, cela va sans dire, mais qui traduit immanquablement l’épanouissement stylistique sans réserves d’un quintet nullement décidé à changer de cap à la moindre bourrasque.
A l’image de son prédécesseur, Light Grenades opte pour un rock à dessein pop dont la production et les structures se font largement plus matures qu’auparavant. Les guitares et la batterie ont délaissé avec succès leur aspect surproduit, et le bassiste Ben Kenney s’est chargé, avec toute sa classe démontrée chez The Roots, de purger le côté "slap-à-l’œil" de Dirk Lance qui aurait été définitivement superflu aujourd’hui, et ce malgré son indéniable qualité. A l’instar d’A Crow Left Of The Murder encore, les mélodies binaires priment mais n’excluent pas pour autant les riffs "high-energy" dans les moments opportuns (A Kiss To Send Us Off), tout en exploitant par ailleurs le faible récent et intelligemment digéré du groupe pour The Police (l’efficace single Anna Molly). Incubus prend simplement du bon temps, et se joue totalement de la pop/rock comme l’atteste ce rapprochement incongru entre un riff acoustique hérité du Blackbird des Beatles sur une rythmique drum’n’bass typique de leur son (Paper Shoes). L’autre élément resté inchangé chez Incubus, sans surprise toutefois, c’est la technique irréprochable de chacun de ses membres. Brandon "voix-claire-comme-de-l’eau-de-roche" Boyd est fidèle à lui-même, tout comme Mike Einziger qui peaufine toujours son style avec des soli 70’s plus nombreux et réussis, le duo basse/batterie dont la complicité reste intacte, et un Chris Killmore qui délaisse totalement les scratchs pour se consacrer avec ingéniosité aux nombreux arrangements qui ponctuent le disque.
On pourrait presque affirmer à ce stade, et à la va-vite, que le cœur de l’entité Incubus n’a pas subi d’évolution notable depuis 2004. Or, on lui découvre une facette cotonneuse insoupçonnée, à la luminosité éclatante du fait du piano (Quicksand) et des guitares scintillantes (Dig). Mais c’est surtout au niveau de leur funk-rock que le changement est le plus perceptible. L’ébauche Priceless d’A Crow Left Of The Murder prend ici tout son sens sur des titres survitaminés et nettement plus aboutis, aux riffs clinquants (Light Grenades, Pendulous Threads) et parfois tout bonnement imparables (l’inévitable Rogues).
Alors que reprocher au final à ce Light Grenades ? Pas grand chose pour sûr, si ce n’est un léger ventre mou en milieu d’album avec les Oil And Water et Diamonds And Coal sans véritables moments forts, des paroles pas des plus scotchantes, et le titre à la limite de la carie comme on en trouve sur chaque album d’Incubus (Love Hurts). Petit regret également avec les Earth To Bella Part 1 & 2 qui ont en fait le défaut de leur qualité. Individuellement excellents, ils sont hélas trop beaucoup trop courts et cassent ainsi l’intérêt de la disjonction, d’autant que les morceaux sont séparés par cinq pistes sur l’album. Nul doute qu’ils auraient gagné à n’en former qu’un seul.
Hormis ces quelques points, Incubus continue de tracer modestement sa route en délivrant un album au style affiné, de plus en plus identifiable, et qui ne bloque pas le regard dans le rétroviseur "revival" pour avancer dans le sentier (ou plutôt l’autoroute) de la pop. Assumant leur accessibilité depuis bien longtemps déjà, les américains n’en délivrent pas pour autant un album outrageusement calibré. Certes les déçus de ce nouveau tournant ne seront pas plus convaincus ici, mais ceux qui recherchent une grosse dose de légèreté en auront indéniablement pour leur compte avec cette "Light Sucette", plus qu’une véritable "Light Grenade".
A écouter : Dig, Earth To Bella, Rogues, Pendulous Threads