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Biographie
Le premier album solo de Ihsahn, The
Adversary sort enfin en avril 2006. Ihsahn assure tout le travail musical, à
l'exception des percussions confiées à Asgeir Mickelson. Les influences
progressives, Heavy Metal, Black Metal et même Classique s'y croisent, rendant
l'album assez unique. Il sort sur son propre label Mnemosyne Productions, créé
en 2003 avec Ihriel. L’homme ne tient pas en place, sa créativité non plus,
très rapidement il enchaine les albums : angL en 2008, After en 2010, Eremita
en 2012 puis Das Seelenbrechen en 2013. Tenant cette cadence infernale, Ihsahn sort Arktis en 2016, une occasion pour lui de replonger dans ses racines et influences metalliques. Considéré
comme l'un des musiciens les plus talentueux de la scène métal, pionnier du Black Metal et explorateur affirmé, Ihsahn est un compositeur hors pair honoré
par sa ville natale de Nottoden, où il continue d'aider de jeunes musiciens à
se produire et enseigne la musique dans une école locale.
Prolifique, Ihsahn nous offre en 2018 son septième album en l'espace de 12 ans. Si le précédent, Arktis, marquait une certaine ouverture musicale, qu'en est-il alors de ce nouvel opus, intitulé Amr?
Lend Me The Eyes of the Millenia lance les hostilités avec panache. Appuyé par des nappes de clavier donnant une certaine froideur au morceau, ainsi que par un jeu de guitare typique du black metal, Ihsahn voscifère comme au bon vieux temps d'Emperor. Les arrangements font aussi la part belle aux cuivres et on se retrouve plongé dans une ambiance propice à l'emphase. Le single Arcana Imperii (avec Fredrik Åkesson d’Opeth en guest sur le solo) propose lui un riffing costaud et des variations de rythme bien venues, mais aussi une performance vocale de premier plan, avec ce chant clair toujours aussi déclamatoire. Et ce n'est pas la ballade Samr qui fera démentir. Ihsahn pose une voix douce sur une orchestration classique, avec un refrain majestueux et un solo de guitare incendiaire.
Ihsahn perpétue aussi dans ses lyrics une certaine idée du chaos, de l'absence de Dieu et du vide vécu comme une délivrance. Les mots ont donc leur importance et viennent renforcer l'atmosphère pesante et ténébreuse de ce nouveau disque. Where You Are Lost and I Belong en est le parfait exemple, avec ses arrangements subtils posés sur des percussions à la reverb appuyée, et une interprétation habitée. Le fil des compositions demeure donc l'alternance entre brutalité et délicatesse. Si les guitares musclent le jeu sur One Less Enemy, elles se font tantôt impétueuses, tantôt caressantes sur In Rites of Passage. Ce morceau s'enrichit de plages electro en contrepoint du riffing metal, traduisant la volonté d'Ihsahn de ne pas répéter les mêmes textures musicales.
Marble Soul synthétise par ailleurs la démarche d'Ihsahn en explorant des contrées presque pop (superbe refrain), contrastant avec un riffing et un chant plus agressifs. Twin Black Angels suit le même canevas, avec toujours cette ambivalence entre calme et tempête. Ihsahn nous offre enfin avec Wake une conclusion conjuguant ses intentions progressives, disséminées tout au long du disque, et une approche naturellement black. Là encore, les petits détails electro font le sel d'un morceau qui a le bon goût de s'achever sur une ultime montée imprécatrice en chant clair.
Au final, Ihsahn nous livre une jolie performance conciliant le black le plus spectaculaire avec des envolées progressives et des éléments electro, le tout rehaussé par une belle performance vocale. Amr est relativement court (une quarantaine de minutes) et n'atteint pas les sommets de Eremita, After ou encore The Adversary, mais cet opus trace sa route avec une indéniable qualité.
A écouter : Lend Me The Eyes of the Millenia,Wake, Where You Are Lost and I Belong notamment
Ihsahn est sans nul doute le porte étendard de tous les musiciens de la scène Metal qui s’essayent à l’exploration musicale. Depuis son départ d’Emperor, sa créativité le pousse sur des terrains de plus en plus éloignés de ce que l’on est habitué à entendre. Aujourd’hui et après 3 ans de maturation sort Arktis, une forme de voyage vers de nouvelles fréquences sonores.
Arktis est un album plein de contrastes. La pochette où seuls le blanc et le noir cohabitent est à l’image de ce qu’elle contient : des morceaux toujours aussi surprenants, mélangeant tous les styles possibles et imaginables. Le travail de Ihsahn prend tout son sens dans la manière dont il gère chaque partie pour que n’en ressorte que le meilleur. Entre les refrains prog lumineux, les blasts gargantuesques, les souffles épiques, les beats electros ainsi que la froideur du Black et les instrumentations orchestrales ou Jazzy, il est quasi impossible de savoir de quoi sera fait le prochain morceau. Piochant son inspiration dans toutes les époques de sa carrière, c’est avec plaisir que nous retrouvons cette folie qui caractérise l’écriture de Ihsahn. Mention spéciale a Until I Too Disolve dont Van Halen ne démentirai pas la paternité. Ses compositions incroyables de précision regorgent de détails qui ne se révèlent qu’au fil des écoutes.
La principale force de notre explorateur est de savoir absorber tout ce qui se présente à lui et de le restituer avec des couleurs qui lui sont propres. Un fil conducteur reste présent, une ligne sur laquelle on peut se raccrocher et qui fait toute la saveur de Arktis. Malgré ce mélange chaotique de styles et de genres, la personnalité de Ihsahn transparaît dans chaque note, portant l’ensemble et lui donnant une âme unique. C’est au travers de compositions très progressives que se mélangent toutes ces sonorités, prenant le temps d’aller jusqu’au bout de ses idées, Ihsahn développe avec brio un aspect de sa musique qui a toujours été latent.
Si l’influence de Tobias Ørnes Andersen (Shining) se fait ressentir derrière les fûts et les compositions, Arktis est plus accessible que ne l’était Das Seelenbrechen et ses sonorités schizophréniques déstructurées qui pouvaient rappeler les Shining des débuts. Ici, nous retrouvons un cadre et des repères connus, les diverses phases s'enchaînent sans pour autant heurter l’oreille. Le mélange n’en est que plus détonnant, on peut trouver une forme de logique dans la manière dont le tout est construit et cela peut rassurer l’auditeur qui n’apprécie pas d’être ballotté au milieu de la tempête sans pouvoir s’accrocher à quelque chose. Sans pour autant renier ce qui a fait ses précédents succès, Ihsahn ne se repose pas sur ses lauriers et va de l’avant pour se trouver toujours vers là où on ne l’attend pas.
Une fois n’est pas coutume, Ihsahn nous sort de notre zone de confort avec Arktis. Moins fou que son prédécesseur mais non moins créatif, c’est avec plaisir que chaque piste s’enchaîne, explorant des idées que d’autres auraient pu trouver ridicules, Ihsahn nous prouve que de nombreuses contrées restent encore inexplorées dans le Metal. Il va sans dire que nous avons à faire aujourd’hui à l’un des artistes les plus influents de notre génération.
A écouter : Plusieurs fois
Vegard Sverre Tveitan alias Ihsahn n'est pas de ceux qui se complaisent voire se perdent dans la gloire du passé, qui se sclérosent et s'oublient dans un héritage musical sacralisé. Ainsi en témoigne Das Seelenbrechen : cinquième album du démiurge norvégien sorti en 2013 chez Candlelight Records. On y retrouve Tobias Ornes Andersen à la batterie (Shining (Nor), ex-Leprous), Heidi S. Tveitan pour les chœurs (Peccatum, Starofash) ainsi qu' Ihsahn aux chants, guitares, claviers et à la basse. Si ses précédentes créations étaient marquées par un savant distillat de Black Metal, de Dark Ambient et de Metal Progressif, cet opus s'avère être le plus expérimental. En effet, soucieux de son rapport à l’œuvre, Ihsahn veut désormais s'émanciper d'une forme musicale préexistante et de la technicité qui ont tendance à réduire le processus de création à une mécanique et à étouffer l'inspiration. Qu'advient t-il de cette résolution ?
Le moins que l'on puisse dire est que cet album n'a de cesse de nous arracher du confort d'une écoute sereine et comblée. La progression interne des morceaux et leur succession sont telles qu'elles nous plongent dans une certaine confusion tant elles déjouent les attentes. On oscille entre une musique empreinte d'une mélancolie et d'une déréliction intimement dépeintes (la lente litanie de Sub Alter menée par des riffs de guitare lancinants et fuyants) ou violemment exacerbées et théâtralisées (Tacit et sa grandiloquente orchestration aux airs sentencieux) et une musique improvisée bruitiste voire minimaliste. Véritable déferlante sonore, Tacit 2 surgit de nulle part et nous submerge, nous laissant sans repères, transi de stupeur, seul face à nous-même. La batterie se libère dans un jeu frénétique, constellé de frappes spasmodiques, tandis que des guitares tonitruantes nous maintiennent dans un chaos sonore asphyxiant. De la même manière, See nous fait sombrer progressivement dans cette folie émancipatrice, dans cette ivresse qui autorise un lâcher-prise total. N'ayant plus de repères (motif, mélodie, pulsation, etc.), l'auditeur se trouve face à un flux sonore en constante mutation qui ne laisse pas de repos. En réponse à une telle provocation il ne reste plus qu'à se laisser absorber dans l'instant présent de l'écoute sans pouvoir jeter un regard rétrospectif sur ce qui vient de se passer. Ihsahn est ici sans concession : ou bien on accepte de se perdre, ou bien on est réfractaire et donc laissé de coté.
Si Das Seelenbrechen semble décousu c'est parce qu’il est en rupture avec une certaine manière d'appréhender la musique (par exemple la forme couplet/refrain) et bouscule ce qui est convenu et attendu. On est face à une musique virevoltante, instable, errante voire indécise, en somme : pleinement vivante et assumée. On arrive bien à percevoir cette volonté d'explorer de nouveaux espaces sonores (notamment avec les deux titres bonus Entropie et Hel) et de parvenir à une expérience musicale plus spontanée et viscérale. L'empereur, loin d’être déchu, propose une musique pulsionnelle, plus introspective, plus libérée et libératrice.
A écouter : Regen, Tacit, Sub Alter
Retour à la géhenne pour Ihsahn, qui livre son second album après The Adversary sorti en 2006. angL (collage entre Anger et Angel) nous le révèle toujours aussi nietzschéen, peu soucieux de ses contemporains, mais bien davantage d'hymnes à la gloire de convictions toujours aussi prométhéennes. La pochette, tencore une fois diabolique, nous montre ainsi un ange noir frappé par la déchéance.
Plus agressif que son précédent opus, angL s'avère riche en envolées épiques avec toujours le même talent pour les constructions lyriques, à base de guitares heavy et d'arrangements malins. Côté lyrics, on reste dans les mêmes travées que The Adversary, anti Dieu, Misanthrope jusqu'au bout des ongles. Conscient de sa nature, Ihsahn se livre "reborn from (his) own corruption" sur Scarab, entre mort et sacrifice du faux prophète. La rencontre avec Mike Akerfeldt sur le morceau Unhealer sonne comme un téléscopage entre les deux univers heavy black et death atmosphérique, où les voix se mélangent sur une orchestration mid-tempo avec une certaine réussite, toujours dans le même rejet.
Peu de musiciens parviennent cependant à livrer aussi honnêtement l'obscurité de leur musique, toujours en recherche d'Emancipation, à coups de solos alambiqués et de voix tantôt criardes, tantôt emphatiques. Il y suinte l'orgueil érigé en idéal artistique et thématique avec toute l'intensité que permet le réel talent musical d'Ihsahn. Maudit donc (Malediction, ou le pacte avec le diable doit être honoré jusqu'à la lie), l'individualiste luciférien persiste et signe, pièce après pièce, un nouveau manifeste dédié au temps passé. Aussi intense soit-il, l'album se répète beaucoup, comme une loghorrée jaillie d'obsessions destructrices.
La liberté à laquelle prétend Ihsahn a un prix, celui de la confusion et de la spirale descendante, loin de tout espoir d'élévation (Elevator, exprimant en fait la chute dans les griffes du diable). La beauté de certaines mélodies ne peut cacher l'humanité de leur géniteur (Threnody), mais les mots sortis de sa bouche le desservent ("there is no salvation, only murder"). Dévoué à l'expression du chaos mis en musique, Ihsahn n'en exprime que plus de ressentiment teinté de mélancolie, pour une cause perdue d'avance. Trompeuse est l'ouverture acoustique de Monolith, moment de calme avant l'énième tempête métallique et vindicative ou le solitaire est dans la peine, alchimiste changé en pierre ("Is it such a crime to go apart and be alone? Your holy simplicity turns gold into stone").
Avec angL, Ihsahn perpétue la voie de l'orgueilleux solitaire à sang froid, profondément imprégné de l'immoralisme Nietzschéen, tout autant que d'un imaginaire luciférien magnifié par ses convictions personnelles, moins bas du front que celles de nombre de ses "collègues". La maîtrise musicale demeure donc, sur cet album dans la lignée de ce que faisait Emperor, autant que l'iniquité propre à sa vision de l'humanité.
A écouter : comme un témoignage luciférien
The Adversary est l'album que l'on pouvait attendre de la part de Ihsahn si l'on se réfère à son évolution musicale entamée avec Anthems To The Welkin At Dusk il y a près de 10 ans. Figure reconnue du black metal symphonique qu'il a lui-même popularisé avec Emperor, Ihsahn a toujours préféré qualifié la musique de son groupe de black metal sophistiqué. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'après Prometheus, il livre une nouvelle pièce pour le moins riche et travaillée. Cet album mêle de la même façon des éléments variés issus de tout le spectre du métal tout en conservant cette veine exploratrice qui caractérisait le Lost In Reverie de Peccatum. Il est bien difficile de l'étiquetter de ce fait, si bien qu'on choisira commodément metal progressif, ou peut-être pour reprendre une expression vue chez des confrères, "Free Metal". Ihsahn tient tous les instruments, mais c'est Asgeir Mikelson (Borknagar) qui se charge de la batterie (mixée volontairement en retrait semble-t-il) avec le talent qu'on lui connaît.
On y entend des compositions alambiquées où le black metal à claviers de Emperor s'acoquine au heavy metal de Iron Maiden (dont Emperor demeure un évident héritier), côtoit des plans death et thrash (Citizen blaste agréablement), des ponts classiques et toute une science de la construction labyrinthique propre au metal progressif. The Adversary est un disque épique, émotionnel, agressif quand il faut, autant qu'impressionnant de maîtrise de la composition. Ihsahn s'y aventure en terrain connu, en renouant avec les choeurs sur Invocation, le morceau d'ouverture très proche du Emperor de Prometheus, ou en invitant son ami Garm (Arcturus, Ulver) sur un Homecoming très mélodique. Après le morceau Radical Cut de Arcturus et une autre invitation sur les Themes From William Blake's The Marriage of Heaven and Hell de Ulver, la politesse est ainsi rendue. Ihsahn se fait indéniablement plaisir, s'autorise des poses vocales à la King Diamond (Mercyful Fate) dont l'ombre heavy plane sur le disque, ou des solis fougueux comme sur ce bien nommé Called By The Fire. L'album est sur le fond comme la forme une ode à la liberté, Ihsahn y revient sur lui-même, introspectif, d'où son titre The Adversary, autrement dit le diable corrupteur, et l'on se souvient des figures de Icare (An Elegy Of Icaros sur IX Equilibrium), Prometheus ou même du Zarathoustra dénaturé de Nietzsche (le Amor Fati de Peccatum) qui ne cessent de l'inspirer dit-il, ce que l'on retrouve dans la prose luciférienne de Astera Ton Proinon, superbe morceau atmosphérique. Les symboles se téléscopent ainsi que les sons en un tourbillon ébouriffant, avec un travail sur les guitares et les claviers exceptionnel. Ceux-ci servent de canevas à toutes les compositions, appuyant un chant tout bonnement parfait, et parfois même entraînant comme sur le refrain de Would You Love Me Now.
Certains seront perdus en route, des compositions aussi fouillées (voire éparpillées, ce qui est le principal reproche qu'on pourrait leur faire) demandant une attention de chaque instant, mais l'album le mérite amplement, offrant une musique vivante, dont chaque soubresaut électrise, transporte et étonne comme sur ce Panem et Circenses vibrant de mélodies de guitares. Il faudrait aussi s'attarder sur le très réussi And He Shall Walk in Empty Places dont on retiendra simplement les paroles en forme de manifeste : "Remember this, you others; The fire and the fury, the strength and defiance, this you admire, this you desire I had to win them for myself" . L'album se conclue avec The Pain Will Be Mine. Le morceau surprend par son orientation romantique, chargée en émotion avec un piano délicat et des cordes touchantes qui l'introduisent dans nos esgourdes de metalheads, et le chant venu d'un autre temps de Ihsahn, théâtral, heavy, maniéré juste ce qu'il faut. Une conclusion remarquable pour un disque qui ne l'est pas moins.
The Adversary n'est pas un album à headbanger, mais à déguster comme un grand cru, un concentré de metal traditionnel et extrême comme vous n'en entendrez probablement pas d'autres cette année. Ihsahn s'impose fort de toute son expérience, fier et misanthrope comme Nietzsche, aventureux comme Icare, forcément prométhéen, digne de siéger sur le trône de l'Emperor, là où la lumière divine n'éclaire plus les orgueilleux au sang noir.
A écouter : Called By The Fire, Astera Ton Proinon, And He Shall Walk In Empty Spaces, The Pain Is Still Mine
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