Si nous devions relever une unique constante dans le parcours d'Heliogabale, ça serait leur inaliénable envie de donner une inspiration nouvelle à chacun de leur disque. Heliogabale est un groupe instinctif et prédateur, qui avec le regard porté au loin, ne peut que se résoudre à avancer pour survivre. Pas question de traîner le passé, si glorieux soit-il, comme une chaîne de plomb, Heliogabale n'a que l'écriture indélébile pour agir sur le fil de son histoire. Même le départ de Vivian Morisson, bassiste originel qui a participé à la composition de Blood, n'a pas empêché le groupe parisien de donner de superbes concerts avec Brice Pirotais (Les Hurleurs), un remplaçant tout trouvé.
Malgré ce regard vitreux, qu'on devine un jour au bord des larmes puis l'autre baigné d'indifférence, et ces narines juvéniles laissant ruisseler un maigre filet de sang, le visuel de Blood laisse transparaître une étonnante luminosité apaisante, imputable - peut-être - au choix des couleurs qui semblent directement restituer la chaleur corporelle filtrant depuis l'épiderme. A juste titre car Blood est le disque le moins corrosif d'Heliogabale. Explorant inlassablement des versants indie rock, voire indie pop (?), Blood est bercé par un optimiste rampant qui caresse, la plupart du temps, dans le sens du poil. Le chant de Sasha Andrès, toujours aussi sublime, entre rocailles incisives et chuchotements intimistes parfois même sucrés, y est développé de façon quasi théâtrale. Si bien, que la section rythmique, autrefois motrice infatigable des compositions d'Heliogabale, est ici remisée au bon dernier rang. C'est bien le seul reproche légitimement faisable à ce nouveau disque, d'autant plus que sur scène, basse et batterie reprennent de manière carnassière le terrain qui leur revient de droit.
Le travail de Philippe Tiéphaine à la guitare est toujours d'une justesse folle. L'animateur d'Heliogabale c'est bien lui. Ses impulsions sont directement branchées sur le ton des morceaux, qui sur Blood évoluent entre pop songs noisy de grandes classes ("Q for Qing", "Foolish If", "Rewind"), noise rock racé ("Juicy Fruit") et rock bluesy ("Knocked Out", "Drink this jab"), parfois rejoint par un saxophone ("Ô My Friends", "Zigzag"). Jamais le son ne dérape ou ne devient incontrôlable, mais Blood n'en reste pas moins une frise jalonnée de paysages émotionnels hétéroclites. C'est cet aspect, intimement lié au raffinement du songwritting, qui lui vaudra une durée de vie bien supérieure à n'importe quel disque d'indie rock lambda. Et si certains morceaux se révèlent immédiatement, une bonne majorité ne rentreront pleinement en contact avec vous qu'après les écoutes successives et la découverte de détails fascinants.
Comme Mobile Home à sa sortie, Blood risque d'être un disque difficilement compris, voire même difficilement accepté, tant il tranche avec les fantasmes que n'importe quel amateur d'Heliogabale peut imaginer à l'annonce d'un nouveau disque.Finalement, ce sont simplement les mots de "Rewind", ma-gni-fique dernier titre, qui donnent le meilleur qualificatif possible à Blood : "I did not expect this. I take it as a gift".
Tracklist : 01.Q for qing 02.O my friends 03.Strings theory 04.Foolish if 05.Providence process 06.Zigzag 07.Knocked out 08.Juicy fruit 09.Drink this jab 10.Rewind
A écouter : Rewind - Q For Qing - Foolish If - Knocked Out