Grouper
Psyché Folk / Drone

Ruins
1) Made Of Metal
2) Clearing
3) Call Across Rooms
4) Labyrinth
5) Lighthouse
6) Holofernes
7) Holding
8) Made Of Air
Chronique
J'ai peur d'écouter Ruins. Peur que des écoutes indélicates ne fassent voler en éclats la porcelaine de ses compositions. Peur de déranger, de paraître trop intrusif. Peur, peut-être, aussi, qu'il ne m'en dise trop sur moi-même. Pourtant, il est bien l’œuvre de Liz Harris, une seule artiste derrière l'alias Grouper. Plus qu'un album, c'est un "document" enregistré lors d'une résidence au Portugal, en 2011.
Ruins brosse un tableau dépouillé de l'artiste à l’œuvre, isolée au sein d'un environnement sauvage. Dès les premières notes, le décor désolé s'imagine sans peine. Il offre un témoignage déchirant des pensées qui la saisissent alors qu'elle est enfin face à elle-même. C'est une parenthèse nécessaire au cœur d'une discographie, d'une vie, trop dense. A la fois miroir mélancolique et fenêtre sur l'âme, Ruins est un regard sans dissimulation sur ses colères, ses doutes ou ses larmes. En mettant de côté les nappes drone synthétiques, dans la brume desquelles elle se cache habituellement, Liz Harris s'expose. Les silences qu'elle laisse entrevoir en disent long sur la pesanteur de l'air qu'elle respire. Capturés et reproduits ici sans retouche, les huit titres renferment en eux les minutes avant la tempête, où l'atmosphère se charge d'électricité, rendant inéluctable mais imprévisible l'éclatement du ciel. Et parce qu'il s'est installé à ses côtés, frissonnant devant tant de tension, l'auditeur, voyeur dans l'intimité de l'artiste, est là, qui attend avec elle.
A un moment, il entend la sonnerie d'un micro-ondes. Il pense l'avoir rêvée; toutefois c'est bien là le signal d'une coupure de courant, conséquence de la tempête. Mais rien ne bouge; Liz Harris, résignée, ou décidée à braver les éléments, allez savoir, continue dans son labyrinthe à jouer avec ses souvenirs.
Évanescente, sa voix s'adosse discrètement aux mélodies inaltérés d'un piano. Seul instrument entendu, il emplit la pièce de notes cristallines, trouvant écho dans les craquements inattendus de la nostalgie ambiante. Il suffit de tendre l'oreille pour entendre le chant des cigales, ou les discrets clapotis de l'eau environnante ("Lightouse", "Holifernes"). Rester à l'affût pour percevoir le mouvement autour de soi. Ruins évoque sans aucun doute la mélancolie - Harris dit que c'est là le résultat de ce qui a été et n'est désormais plus; il est aussi une ode à la simplicité et à la pureté des choses. Le vent et la pluie qui échouent contre les murs de la maison viennent balayer les notes restées sur le pas de la porte. Une approche naturaliste, à peine perturbée par des réminiscences du passé. "Made of Air", en clôture, a été composé en 2004 et replonge dans les vapeurs éthérées de Way Their Crept. Doit-on comprendre que Liz Harris a fait la paix avec elle-même et qu'elle est maintenant prête à retourner dans le tourbillon de sa vie ? Peut-être. On sait d'ores et déjà que ce cocon vaporeux la protègera, on l'espère encore pendant très longtemps. En attendant, l'épure de Ruins, sur le moment, est terrible. C'est aussi ce qui en fait sa force malheureuse et sa désolante beauté.