Premier album en quatuor pour Gravity, Alexandre Meddeb restant le seul guitariste au lieu d’exercer en binôme. Son ex-compère Matthieu Blanc ayant eu la responsabilité de la plupart des solos et des leads, doit-on s’attendre à un changement de style conséquent, une musique plus rythmique et lourde (enfin, encore plus) ? D’autant plus que le timing le laisse aussi penser : si Syndrome et Eutheria se sont succédés en un an, avec pourtant un changement de batteur entre les deux ; cette fois Noir arrive cinq ans après son prédécesseur. Sans plus tarder, on se lance dans l’écoute de ce nouvel opus pour comprendre les raisons de cette attente, l’esprit ouvert aux potentielles nouveautés dans la musique des Montpelliérains.
Tout d’abord, notons que Gravity est fidèle à ses habitudes. Le line-up ou le temps passé n’a pas eu raison de la hargne du groupe, qui balance toujours des brûlots Metalcore aux influences gojiriennes et meshuggèsques. Parfois, quelques samples apportent l’emphase nécessaire à certaines parties (la fin de La Dernière Empreinte), sans jamais trop en faire. On reste donc dans l’efficacité franche et directe. Complètement ? Sans aucune concession, sans moyen de respirer au milieu de cette livraison ? Pas tout à fait. Gravity sortait déjà son épingle du jeu entre autre pour son travail sur les ambiances (on se souvient de l’intro de Arkham dans l’album précédent, avec The Algorithm en guest de luxe), et ici à nouveau le combo propose quelques instants de répit, comme l’incroyable Dune, crasseux et flamboyant, lourd et lyrique. Gravity se permet quelques changements de rythme avec deux morceaux de moins de deux minutes (pas de panique, l’album dure quand même une heure) afin d’apporter des respirations inattendues au sein de Noir. Toujours aux petits soins avec les ambiances et la cohérence globale de ses disques, le quatuor intègre des extraits de V Pour Vendetta dans Indigence I, et La Dernière Empreinte (qui clôture l’album, en écho à Le Premier Éclat en début de galette) cite L’Horloge de Baudelaire avant de se terminer par un angoissant mais pertinent tic-tac… Tout est pensé, tout semble prévu. Non contents de débarouler à grand coup de syncopes et de dissonances, les Montpelliérains vont au-delà de l’aspect « direct » qu’on pourrait attendre d’un groupe de Deathcore et réussi à créer des atmosphères subtiles très réussies.
Musicalement, si Gravity se démarquait aussi par l’incorporation de solos de guitare dans ses deux premiers albums (ce qui est loin d’être systématique dans le Metalcore), cette page semble en revanche tournée. Mais pas question d’abandonner toute notion de technique ou d’originalité musicale ! Le plan en tapping au milieu de Noctifer – Ogres (qui n’est pas sans rappeler celui de Global Warming de Gojira), le groove à la moitié d’Indigence I, ou encore les accords ouverts qui s’enchaînent sur de courts phrasés schredés dans Hypérion… Même avec un seul guitariste, Gravity en impose. La touche mélodique, presque Heavy, qu’apportaient les leads est compensée par un regain de puissance brute et d’efficacité.
Quant au chant, nous sommes ici en terrain connu. Comme d’habitude, le groupe a la très bonne idée d’utiliser tout le panel des voix possibles de sa vocaliste : growl convainquant ; chant clair précis et juste ; rares envolées lyriques, fébriles juste ce qu’il faut pour être chargées d’émotions… Et parfois, grâce à la magie du studio, plusieurs voix se superposent, le combo voix claire et chant hurlé dans Noctifer – Ogres ou dans Dune apporte une dynamique exceptionnelle. Les textes sont quant à eux toujours aussi poétiquement tournés bien qu’extrêmement sombres (forcément, vu le titre de l’album), et encore une fois en français.
Noir n’est peut-être pas appelé à devenir LA référence du genre, mais l’opus n’en n’est pas moins puissant, pertinent, généreux, et marque clairement une étape-clé pour le combo. Gravity livre un troisième album mature, celui d’un groupe changé, qui comprend comment s’inscrire dans le mouvement musical qui lui tient à cœur tout en évoluant. Et réussir à produire intelligemment une musique qui se renouvelle en restant cohérente, c’est sûrement une des plus belles victoires pour un groupe.
A écouter : Dune, Noctifer – Ogres, Le Premier Éclat, Hypérion