Alors que les effets du changement climatique se concrétisent et s’intensifient aux quatre coins de la planète, alors que rien n’est fait pour ne serait-ce que diminuer l’impact de nos saloperies productivistes, qu’aucune remise en question politique de fond n’est à l’ordre du jour… Gojira sort son septième album, en pleine crise aussi bien sanitaire que sociale ou écologique, affichant une gardienne (ou un gardien) du vivant, ou ce qu’il en reste, sur sa pochette.

Fortitude, malgré une phonétique qui rappelle la « bravitude » de notre Ségolène nationale, désigne l’énergie morale devant le danger ou la souffrance. Une forme de courage face à l’adversité industrielle dominante qui caractérise idéalement l’objet, et dont le morceau Amazonia est l’un des plus évocateurs. La lutte perpétuelle des Indiens d’Amazonie pour défendre la forêt et son écosystème a clairement inspiré l’écriture d’un album dense, bigarré, admirablement agencé, laissant même éclater quelques tempêtes et tsunamis.

Les Landais n’ont jamais caché leurs convictions écologistes, mais ce Fortitude revêt une dimension d’autant plus engagée dans un temps présent où le point de non-retour environnemental a été franchi. Va falloir apprendre à vivre avec d’intenses chaleurs, des inondations démultipliées, séismes et autres catastrophes surprises, et pour ça on va devoir lutter pour limiter les dégâts, enfiler notre plus belle fortitude, donc. Les élans percussifs gimbardisés à la Roots de Sepultura (Amazonia encore lui) nous y encouragent, tout comme l’explicite Another World aux airs psychédéliques, évoquant un moyen de se préparer sereinement au pire. Le groove ne manque pas non plus à l’appel de la Nature, exemple avec le très chaloupé New Found, transpercé d’une ligne de basse ronde, expressive et d’un refrain aventurier, achevé dans l’opulence riffique, ou sur le grassouillet Grind au final incantatoire.

Et on réalise assez vite que Fortitude poursuit musicalement les mêmes intentions que Magma, soit l’implication affirmée d’une voix claire toujours plus maîtrisée, l’ouverture vers des horizons plus éthérés, plus accessibles aussi. The Chant incarne la chose à merveille, avec ses chœurs et sa structure simple mais irrésistiblement fédératrice. Les  racines restent toutefois bien accrochées, une sève immuable coule des veines de cet arbre de la vie, les cellules se mélangent, s’associent, se dissocient, les riffs monolithiques mutent en envolées mélodiques et progressives (Into The Storm, The Trails), et on contemple les mouvements toujours plus imprévisibles des éléments, qui finiront par nous avaler sans mâcher si on arrête pas tout de suite nos conneries capitalistes et productivistes.

Gojira fait preuve d’une grande cohérence, et même si on peut regretter un manque de folie, ce septième long est, en contrepartie, clairement le plus mature et réfléchi, qui se révèle et s’apprécie sur la durée. Fortitude nous indique que la lumière est toujours là, vacillante, pourtant plus forte que jamais, mais que l’horizon s’annonce plus que sombre pour les êtres vivants, tant que nous préférerons combattre et détruire la Nature plutôt que de vivre en harmonie avec elle, et que nous devons être prêt.es à affronter ses pires colères.