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Biographie
Justin K. Broadrick naît en 1969 à Birmingham. Gamin précoce, il enregistre son premier projet à l'âge de 12 ans sous le nom de Final mais c'est sa rencontre avec B.C. Green et Paul Neville en 1983 à Birmingham qui lui permet de rentrer de plein pied dans le monde de la musique. Dès lors tout s'enchaîne. Il intègre dans un premier temps Fall Of Because, signant avec eux la première démo Extirpate puis, deux années plus tard, on le retrouve également guitariste de Napalm Death pour lequel il enregistre la seconde session de l'album Scum. C'est justement lors d'un concert de ses deux groupes que Justin fait la connaissance des membres de Head Of David. Il accepte de les rejoindre et enregistrera en leur compagnie l'unique album de la formation, Dustbowl. Mais Justin a en tête de créer son propre projet. Grand amateur de Killing Joke, Suicide, Stranglers et surtout Throbbing Gristle, notre bonhomme cherche à élaborer un mix entre toutes ces formations, le tout devant sonner comme un 45 tours passé à la vitesse d'un 33. Pour ce faire, il reprend contact avec B.C. Green, et réactive Fall Of Because qui, très rapidement, se transforme en Godflesh. Ben et Justin investissent alors dans une beat box. Les premiers morceaux ne mettent pas longtemps à arriver. Le duo enregistre un six titres éponyme distribué par Swordfish. Entre temps, quatre autres titres sont enregistrés sous le nom de Tiny Tears mais, le petit disquaire ne pouvant se permettre le risque de les sortir, Dig Parson, boss du label Earache, impressionné par leur son, leur propose un deal. Street Cleaner est enregistré un an plus tard avec l'aide de Paul Neville, ancien de Fall Of Because. Dans la foulée, Godflesh tourne en Europe en compagnie de Napalm Death puis s'embarque pour les States. Même si aucun album ne voit le jour, 1991 est une année prolifique pour le duo de Birmingham. Après Slavestate et Slateman, pour beaucoup considéré comme un tournant dans la carrière de Godflesh, Broadrick, Green et Neville enregistrent un split avec Loop pressé à 1400 exemplaires. Une tournée s'ensuit à l'issue de laquelle Paul Neville décide d'arrêter pour se consacrer à son projet Cable Regime. Il est remplacé par Robert Hampson (Loop) qui participe à l'enregistrement de Cold World et de Pure avant de rejoindre son ancien acolyte de Loop, Scott Dawson, dans Main. Godflesh ne recommence à travailler au successeur de Pure qu'en 1994. Malgré quelques problèmes contractuels, Broadrick et Green parviennent tout de même à sortir Selfless et s'embarquent pour une tournée en compagnie de Danzig et Type O Negative qui n'obtient pas le succès escompté. Après une tournée européenne, Godflesh entre en studio pour l'enregistrement de Song of Love And Hate délaissant exceptionnellement sa traditionnelle beat box pour Brian Mantia, un batteur en chair et en os qui participe également à la tournée US en compagnie de Vision Of Disorder. Toutefois, persuadé qu'il ne sera jamais qu'un membre occasionnel, il cède à l'offre de Primus et Broadrick le remplace par Ted Parsons (Swans, Prong). Les années 1997 et 1998 constituent une période creuse pour Godflesh. Justin se disperse dans plusieurs projets parmi lesquels Final et Techno Animal, Ben se consacrant à Vitriol. Godflesh revient plus que jamais fringant pour la sortie de Us And Them mais doit faire face quelques temps après à un changement de label. Le duo quitte Earache pour Music For Nations sur lequel est enregistré Hymns qui s’avérera être l'ultime album, Broadrick sabordant Godflesh en 2002. Justin Broadrick se refait une santé dans Jesu, au sein duquel on retrouve également Dermott Dalton, Ted Parsons et, occasionnellement, Paul Neville. En 2009 Godflesh est annoncé à la surprise générale à l'affiche de l'édition 2010 du Hellfest. En 2012, Justin Broadrick annonce travailler sur un nouvel album, qui deviendra A World Lit Only by Fire sorti en 2014, précédé de l'EP Decline and Fall, la machine est relancée. En 2017, le groupe annonce la sortie de Post Self, nouvel album aux sonorités influencées par le Post Punk et la musique industrielle des années 70 et 80.
Si elle est parfois injuste et cruelle, la vie peut aussi être généreuse, à l'image de la discographie du sieur Broadrick. Rendez-vous compte, il y a à peine 6 ans, nous nous faisions encore une raison : Godflesh ne sortirait plus de disque et Hymns serait le dernier d'une famille nombreuse et marquée par le génie. Nous n'avions forcément envie de nous plaindre, d'abord parce que les œuvres du duo, puis trio, étaient à n'en point douter des joyaux. Mais aussi parce que l'ancien Napalm Death y allait de ses apparitions à droite à gauche, en sus de son projet Jesu. Et puis, de son cottage dans les plaines du Pays de Galles, Broadrick a une fois encore électrifié le monde en annonçant des tournées. Puis des disques. Et voilà qu'en 2017, après un très bon EP et un album tous deux aussi valeureux que leurs confrères, le tandem infernal est de retour avec Post Self.
Un nouvel arrivé que le groupe a présenté comme le moins Metal de sa carrière, s'en allant plutôt voir du côté de chez Swans, du Post Punk et de la première vague de la musique industrielle. Une déclaration que l'on serait bien tenté de prendre à la rigolade dès les premières secondes du morceau titre. Énorme saturation sur les guitares, basse dégoulinante et anxiogène et groove industrialo-tribal, nous sommes en terrain connu. Et ce n'est pas la voix délicieusement traitée de Justin qui va nous faire oublier que Godflesh sait sortir de ses gonds comme personne. De fil en aiguille, on nous trompe et, tel un petit manipulateur, le duo joue avec nos nerfs tandis que les trois premiers titres sont, malgré quelques petites subtilités, du Godflesh pur et dur, assez traditionnel. Les choses se gâtent déjà sur "No Body" et sa boite à rythme aux sonorités manipulées, électrocutées et tabassées, rappelant sans grande surprise les sonorités que JK Flesh met en avant depuis une moitié de décennie.
Est ce à dire qu'ils n'avaient aucune parole, nos deux larrons, et que l'on peut oublier ce qu'ils déclaraient quelques jours avant la sortie de Post Self ? N'y comptez pas trop non plus car, une fois "No Body" passé, plus de retour en arrière. Oui, vous trouverez du Post Punk, de l'Industrial Music comme disent nos amis outre-Manche et de la Power Electronic. On pensera très fort à Whitehouse sur "Be God". On se remémorera le son de guitare tranchant de Foetus et les instincts DUB tribaux de Killing Joke sur "Mortality Sorrow". Et, puisque ce name dropping n'a que suffisamment duré, on sent également que la collaboration entre Broadrick et Prurient a été fertile en inspiration, notamment sur le morceau final.
Là où le bât aurait pu blesser, c'est bien plus dans l'exécution que dans les idées. Perdre Godflesh, comme il avait pu se perdre par le passé, personne ne le souhaitait. Grand bien lui en fasse, la figure du groupe a réussi à ne pas s'effacer face à ces influences impressionnantes. S'il est évident dès la première écoute que ce Post Self a une place à part, il est et restera avant tout marqué par cette boîte à rythmes infernale, les tissages sonores, à la guitare ou aux machines, de Broadrick ainsi que par la basse grondante de monsieur Green qui amènent immanquablement à se dire, dès les premières secondes de chaque morceau « C'est bien Godflesh ».
Il est présomptueux d'affirmer que le groupe a changé. Comment sonnera la prochaine offrande de nos démiurges mécaniques, nul n'est en mesure de le prévoir. En revanche, il est intéressant de noter que Post Self est mieux qu'un disque hommage, il est une réinterprétation par des musiciens avec une force de caractère intarissable d'une époque et d'un mouvement musical qu'ils ont pleinement vécu. Peut-être était ce là une façon de se venger de Hymns, d'une fin de première partie de carrière que Broadrick semble parfois regretter... On ne tirera pas de plan sur la comète, on ne fera aucun commentaire mais la question peut être soulevée. En revanche, il n'y en a aucune à se poser sur la nécessité d'aller écouter ce nouvel album.
A écouter : Comme une belle preuve d'amour
Treize ans. Treize longues années sans le moindre soubresaut discographique des maitres du Metal Industriel : Les mythiques Godflesh. Justin K. Broadrick n’a pour autant pas passé la dernière décennie à se dorer la pilule au soleil les doigts de pieds en éventails, il a au contraire enchainé les sorties avec Jesu, son nouveau groupe post-Godflesh qui, malgré des débuts intéressants, commençait sérieusement à s’embourber dans les confins de l’ennui. Retour aux affaires donc en 2014 pour Godflesh avec d’abord un EP en début d’année intitulé Decline&Fall, suivi de l’album A World Lit Only By Fire. Mais où peut bien en être cette référence de l'Indus après tant d’années de silence ?
Godflesh n’a que faire du temps, ou est-ce le temps qui n’a pas d’emprise sur Godflesh ? La question mérite d’être posée tant elle s’impose d’elle-même à l’écoute des quatorze nouveaux morceaux (si l’on compte l’EP) proposés par le Godflesh nouveau, en 2014. D’ailleurs, peut-on vraiment dire qu’il s’agit d’un « nouveau » Godflesh ? Certainement pas. A Word Lit Only By Fire pourrait sortir tout droit des années 90 que l’on y verrait que du feu. Les mêmes structures abruptes, la même voix caverneuse et surtout le même souhait de cracher à la gueule du monde les misères qui le dévastent. De la pochette au nom de l’album en passant par la production, A World Only Lit By Fire pourrait être la suite logique d’un certain Streetcleaner, album culte s’il en est. Justin n’a rien perdu de sa verve ni de sa haine et propose via ces cinquante quatre minutes une musique abrasive et sans concession. A tel point que le fan ou le connaisseur de Godflesh ne sera en rien déstabilisé par ce nouvel opus.
New Dark Ages met les pieds dans le plat dès l’entame. Son titre, évocateur, place d’emblée l’auditeur au cœur de cette crasse purulente qui a fait le succès de Godflesh. Ici, les mélopées ennuyeuses des dernières productions de Jesu s’évaporent et laissent place aux éructions des guitares, elles qui semblent creuser à chaque coup de riff le lit d’un Styx revigoré. Godflesh n’a jamais été accessible et a, au contraire, toujours pris le parti d’en découdre. Ce nouvel opus ne déroge pas à la règle. L’écoute est rugueuse, difficile, comme au bon vieux temps. Pas de chichis Dub ou Post quelque chose comme sur Us&Them ou Hymns. Non, ici, seul l’enfer urbain des prémices du groupe prédomine. Difficile de dégager un titre plutôt qu’un autre tant l’effet de masse est puissant, chaque morceau apportant une pierre à l’édifice destructeur de Justin. Relevons tout de même l’efficacité terrible de Shut Me Down et ses riffs syncopés qui ne peuvent laisser indifférent ou encore la rythmique dévastatrice de Life Giver Life Taker, saisissante. Malgré la qualité indéniable de ces nouvelles compositions, jouer avec un passé glorieux n’est jamais évident. Si le défi est réussi, il n’apporte rien de neuf à la discographie d’un groupe qui certes n’a plus rien à prouver. A World Lit Only By Fire engage tout de même à se demander quelle direction sera prise dans le futur. Godflesh ne pourra pas éternellement créer du neuf avec du vieux sans lasser son auditoire. À toi de jouer Justin.
Quoiqu’il en soit, l’énorme attente suscitée par ce nouvel album de Godflesh est dignement récompensée. A World Lit Only By Fire ravira l’initié comme le novice par sa puissance sauvage et sa haine dégueulée sur le monde. Pour autant, si cette nouvelle ère pour le groupe rouvre la porte des enfers, gageons qu’ils sauront par la suite nous surprendre pour mieux se déverser sur le monde de façon inédite et incontrôlable.
A écouter : Bien sûr
Obsédant, oppressant, glauque, pesant, les qualificatifs ne manquent pas pour tenter de définir la musique de Godflesh. Mais pas un qui ne soit réellement satisfaisant, à croire que la sémantique ne soit d'aucun secours pour tenter de déchiffrer ce qui se passe dans la tête de Broadrick. Quand bien même on arriverait à en trouver un, il n'est pas certain que l'on soit plus avancé.
Finalement à quoi tient le génie ? Soit à faire l'inverse de ce que l'on attend de nous, soit de ce que font les autres. Encore faut-il le faire avec talent. Lorsque sort Street Cleaner en 1989, celui-ci fait figure d'OVNI sur la scène musicale anglaise archidominée par les Unseen Terror, Napalm Death, Carcass et Defecation. En effet, au moment où toutes ces formations optent pour un extrémisme musical concourant à être le groupe le plus rapide de la Terre, Godflesh est quasiment le seul à prendre le contre-pied de toute cette vague de frénésie grind. S'ancrant de manière solide dans le métal lourdingue de Black Sabbath, Broadrick en retire certes l'essentiel, mais n'aura de cesse de s'en éloigner au fur et à mesure de sa progression, intégrant également sa passion pour la musique industrielle des Throbbing Gristle . Sur Street Cleaner, si la carcasse de l'édifice reste fondamentalement métal, on sent que Godflesh veut finalement mettre pas mal de distance avec les structures traditionnelles, préférant l'arythmie frénétique d'un Big Black ou d'un Killing Joke au systématisme des formations contemporaines (Like Rats, Christbait Rising). Ainsi la plupart des morceaux apparaissent totalement déstructurés, imprévisibles, un peu comme si Broadrick s'amusait à les démonter et les remonter à sa guise. Ce dernier accouche d'un monstre sonore, genre d'oiseau de mauvaise augure instillant une ambiance oppressante, éreintante, jetant un voile obscur sur nos vies bien rangées et remettant en cause par la même occasion une grande partie de nos idées toute faites sur la musique. Dans un délire hypnotique, Godflesh assène coups de bélier, défonce les cranes dressant une danse macabre dans laquelle nappes de guitare torturés, grondements d'infra basse saturés respirent une violence exacerbée par des cris compulsifs (Mighty Trust Krusher), provoquant l'énervement, le doute pour finir par nous rejeter résigné, les yeux vides et sans espoir. Dans ces conditions, difficile de voir dans Street Cleaner ne serait-ce qu'un rai de lumière, dans cet océan d'obscurité un faisceau de clarté où gambadent particules en suspension. Même si Godflesh revient en fin de parcours sur ses résolutions de départ, retrouvant pour l'occasion une structure plus classique dans laquelle on sent les prémices de Cold World ou Pure, plutôt orienté cold voire shoegaze (Life Is Easy, Street Cleaner), les anglais ne parviennent jamais à se départir de leur nihilisme profond, affublant même ce dernier d'un côté cynique qui achève de nous emporter dans un maelström gluant et miteux.
Reflet de l'esprit tourmenté de Broadrick, Street Cleaner allait marquer de son empreinte la fin des années 80, ouvrant la voie à des formations telles que Dogpile, Pitchshifter, Treponem Pal qui, malgré leur indéniable potentiel, tenteront vainement d'égaler la puissance du monstre de Birmingham.
A écouter : Comme des rats.
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