Biographie

Gil Scott-Heron

Gil Scott-Heron est un nom connu d'un peu tout le monde. Sa musique l'est parfois un peu moins malgré The revolution will not be televised, titre entré dans l'histoire et désormais partie intégrante de la pop culture américaine. Icône de la musique noire outre-Atlantique, il se fait remarquer par une verve qui deviendra sa marque de fabrique et des prestations aux croisement de la Soul Music, du Funk, du Blues et du Jazz.
Né en 1949 à Chicago dans l'Illinois, plaque tournante de la contestation noire américaine et théatre de mouvements sociaux d'importance au cours des années 1960 (Crise industrielle, naissance du Chicago Freedom Movement de Martin Luther King, ghettos, immigration, émeutes raciales...) fortement marqué par son environnement il s'engage sur le chemin de l'art contestataire dès la fin de la décennie. Le jeune Gil s'impose rapidement comme un défenseur de la cause noire américaine et des laissés pour compte du rêve américain, raconte son quotidien et celui de milliers d'autres des ses compatriotes: celui de la rue et de ses difficultés. Pourfendeur des politiques de l'époque, il s'inscrit à dans le courant contestataire qui prend dans les années 1970 l'art à son compte. Il ne quittera jamais ce créneau bien qu'au milieu des années 1980 le rythme de ses enregistrements studio connaisse un coup de frein notable. L'artiste continue pourtant à écrire et tourner, les yeux ouverts sur la société qui l'entoure, adresse régulièrement quelques brulots remarquables aux politiques ou encore aux rappeurs de l'époque (Message to messengers) et enregistre en 1994 ce qui restera pendant longtemps son dernier album: Spirits. Depuis en proie, notamment, à des soucis de drogue, de violences domestiques, et supposé gravement malade Gil Scott-Heron échoue même en prison en 2001. Ce n'est qu'en 2010 qu'il signe un retour quelque peu inespéré avec I'm New Here.

Chronique

17 / 20
3 commentaires (17/20).
logo amazon

I'm New Here ( 2010 )

Gil Scott-Heron est un survivant au timbre usé. Mais avant d'être un respectable ancien, Gil fut un héros. Un aventurier même, une des icones d'une époque révolue tout comme lui est une étoile déchue. L'époque, est celle qui vit s'élever entre autres les voix de la blacksploitation, celle de l'émancipation par la soul music. La déchéance, c'est celle d'un des créateurs de la bande son du début des seventies, un poète écorché, un showman et écrivain insoumis aujourd'hui malade, depuis passé par les cases drogue et prison, qui avait perdu le chemin des studios depuis quinze ans.

Gil Scott-Heron a un vécu et des cicatrices à l'ame qui nous disent d'où il vient, racontent un chemin parcouru parfois à l'envers. Des séquelles de combats passés. La voix cassée, la diction grave, la parole d'avantage que le chant probablement autant par choix que par nécessité. La surprise est au rendez vous car ne serait-ce que le voir revenir tient de l'inespéré. Et parce que le style a évolué. Fortement. Forcément. Le monstre sacré de la soul, le proto-slammeur enfiévré, le "godfather of rap" repart sur de nouvelles bases. Nouveau départ pour le (grand) monsieur. Il recommence depuis zéro mais pas sans expérience(s).
Une ouverture, une conclusion (On coming from a broken home Part I et II), cinq interludes pour 15 pistes. I'm New Here est un disque court et intense. Le prêcheur s'y fait conteur, déclame posément en nuances de gris une musique noire, moderne et lourde (de sens), teinté de minimalisme électronique, d'Americana (I'm new here), d'Abstract Hip-hop puissant et classieux (Me and the devil*, The crutch), de spoken word urgent (Where did the night go?, Your soul and mine), de Blues urbain déraciné, moite et possédé (New york is killing me) de réminiscences Soul profondes (I'll take care of you**) tous étranglés par une voix usée qui charrie dans chacun de ses souffles plus de 40 ans d'Amérique. Ou du moins d'une certaine Amérique: la sienne. Un disque témoin signé de la main d'un éternel agitateur et du grand malade qui est allé le recherché au fond de son trou (Richard Russell). Un disque au croisement des genres, des époques et des générations, toujours mené par le même feu qui fit de son auteur un des acteurs majeurs de la musique noire-américaine et qui lui permettrait aujourd'hui encore de toiser ceux qu'il a indirectement enfanté. Si seulement il le voulait.

Un album moderne, urbain et sombre, surprenant, claqué par un vieux type au destin chaotique, roi des trajectoires foireuses. Un mec cabossé par une histoire qu'il a faite à son petit niveau et qui l'a (dé)fait. Et qu'il rend aujourd'hui de façon d'autant plus authentique qu'il ne fait autre chose que l'exposer sans artifices ni compromis. Royalement atypique, humble et percutant à la fois.

*repris de Robert Johnson, héros du Blues du milieu des années trente décédé à 27 ans.
** repris de Bobby "Blue" Bland, autre légende de la Soul music.

A écouter : Absolument.