Gil Scott-Heron est un survivant au timbre usé. Mais avant d'être un respectable ancien, Gil fut un héros. Un aventurier même, une des icones d'une époque révolue tout comme lui est une étoile déchue. L'époque, est celle qui vit s'élever entre autres les voix de la blacksploitation, celle de l'émancipation par la soul music. La déchéance, c'est celle d'un des créateurs de la bande son du début des seventies, un poète écorché, un showman et écrivain insoumis aujourd'hui malade, depuis passé par les cases drogue et prison, qui avait perdu le chemin des studios depuis quinze ans.
Gil Scott-Heron a un vécu et des cicatrices à l'ame qui nous disent d'où il vient, racontent un chemin parcouru parfois à l'envers. Des séquelles de combats passés. La voix cassée, la diction grave, la parole d'avantage que le chant probablement autant par choix que par nécessité. La surprise est au rendez vous car ne serait-ce que le voir revenir tient de l'inespéré. Et parce que le style a évolué. Fortement. Forcément. Le monstre sacré de la soul, le proto-slammeur enfiévré, le "godfather of rap" repart sur de nouvelles bases. Nouveau départ pour le (grand) monsieur. Il recommence depuis zéro mais pas sans expérience(s).
Une ouverture, une conclusion (On coming from a broken home Part I et II), cinq interludes pour 15 pistes. I'm New Here est un disque court et intense. Le prêcheur s'y fait conteur, déclame posément en nuances de gris une musique noire, moderne et lourde (de sens), teinté de minimalisme électronique, d'Americana (I'm new here), d'Abstract Hip-hop puissant et classieux (Me and the devil*, The crutch), de spoken word urgent (Where did the night go?, Your soul and mine), de Blues urbain déraciné, moite et possédé (New york is killing me) de réminiscences Soul profondes (I'll take care of you**) tous étranglés par une voix usée qui charrie dans chacun de ses souffles plus de 40 ans d'Amérique. Ou du moins d'une certaine Amérique: la sienne. Un disque témoin signé de la main d'un éternel agitateur et du grand malade qui est allé le recherché au fond de son trou (Richard Russell). Un disque au croisement des genres, des époques et des générations, toujours mené par le même feu qui fit de son auteur un des acteurs majeurs de la musique noire-américaine et qui lui permettrait aujourd'hui encore de toiser ceux qu'il a indirectement enfanté. Si seulement il le voulait.
Un album moderne, urbain et sombre, surprenant, claqué par un vieux type au destin chaotique, roi des trajectoires foireuses. Un mec cabossé par une histoire qu'il a faite à son petit niveau et qui l'a (dé)fait. Et qu'il rend aujourd'hui de façon d'autant plus authentique qu'il ne fait autre chose que l'exposer sans artifices ni compromis. Royalement atypique, humble et percutant à la fois.
*repris de Robert Johnson, héros du Blues du milieu des années trente décédé à 27 ans.
** repris de Bobby "Blue" Bland, autre légende de la Soul music.
A écouter : Absolument.