Flipper c'est le suspense d'une série B, genre Vendredi 13 ou Amityville. Au début tout est beau, le soleil brille, les oiseaux chantent. Puis on envoie le gosse au lit et l'atmosphère se délite, la vue se brouille et les lieux sont envahis par des Poltergeist. A peu de choses près.
Flipper c'est l'autre visage de la Californie. Pas celui des vagues du Pacifique le long des plages qui défient le temps (ou l'inverse). Celui des blondes péroxydées, des Monsieur Muscle, des aberrations touristiques en tout genre, des meurtres en série, sordides émanations d'une société qui finira bien par crever de ses excès. Cliché comme vision mais on ne peut plus réelle. Plus Bukowski que Capra. Plus Ellroy que Wilder. A croire que seule la pourriture inspire.
On pensait Flipper satisfait par le semi-scoop de sa reformation. Pratique pour éprouver les nouvelles capacités du marché à écouler disques, tee-shirts et casquettes. On est parfois mauvaise langue. La preuve. De Smartas parti, qui mieux que Novoselic pour reprendre un flambeau qu'il a indirectement contribué à garder allumé au sein de son ancien groupe, Nirvana ? Le serbe est depuis rentré chez mémé non sans laisser ses traces comme l'aurait fait une limace. La tache était pas aisée. Faire oublier la basse de Will Shatter le temps d'un ultime album. Le pari est réussi. Love comme un gros mot, une insulte, un besoin de cracher ces syllabes, se convaincre que çà existe encore.
La méthode Flipper est simple : se saisir d'une boucle et la faire tourner de manière incessante, qu'elle vienne s'imprimer dans le cortex définitivement, qu'elle hypnotise les derniers restes rationnels, qu'elle râcle la cavité cranienne. Imparable. Love est aux antipodes de la lubie de vétérans sur le retour; une entité ne demandant qu'à vivre, à exploser. Flipper est une hydre à quatre têtes, un être multicéphale où chacun œuvre dans son coin pour le bien commun, un guitariste autiste ennivré par ses mélodies acides, un chanteur tantôt exalté, tantot plongé dans sa torpeur une fois le speed retombé. Proche d'un Rollins lorsqu'il écumait pour Black Flag. En temps normal on n'aurait pas envie de se perdre dans le monde qu'inspire Flipper même lorsque celui-ci flirte avec le psychédélique zeppelinien ("Why Can't you See"). Mais l'envoûtement est inévitable, l'attirance incontournable. Vingt ans après l'inégalable Generic, Flipper ressemble toujours à un ovni dans un monde en survie.
Love est l'émanation froide et désabusée d'un groupe toujours hanté par les mêmes démons, démons qu'il parvient à renfermer à coups de pied dans leurs sépultures le moment venu ("Old Graves"). Flipper n'est pas le gentil dauphin que l'on croit mais un requin lubrique nageant au milieu des étrons et des serviettes hygiéniques usagées.
Tracklist : 1. Be Good Child, 2. Learn to Live, 3. Only One Answer, 4. Live Real, 5. Triple Mass*, 6. Love Fight, 7. Transparent Blame*, 8. Why Can't you See, 9. Night Falls*, 10. Old Graves.
A noter que Love est accompagné d'un live intitulé Fight.
A écouter : Old Graves, Why Can't You See