Sur le papier ce nouvel album a largement de quoi intriguer : reset complet du combo, un front man en pleine forme, et un retour aux sources 90's annoncé. Que dire donc, de ce nouvel opus très attendu par les fans après, sinon une traversée du désert, un énorme passage à vide pour le groupe qui n'a eu de cesse d'enchaîner expérimentations douteuses, clichés indus peu inspirés et pelletées de titres niaiseux insupportables ?
Premièrement, au risque de fâcher les fans de la première heure, on peut facilement statuer que rien de franchement très bon n'a été proposé par le groupe depuis son retour en 2008. Même si le line-up d'Anthems For The Dead était magnifique, même si The Trouble With Angels était une bonne surprise si on mettait de côté l'assemblage de riffs sans queue ni tête, et même si The Sun Comes Out Tonight était... non j'arrive pas à trouver quelque chose de positif sur cet album... pas facile donc de s'attaquer à ce Crazy Eyes tout frais sans préjugés.
En second lieu, pas facile non plus de s'en tenir à ce style de moins en moins pratiqué, l'indus a eu de belles années, mais les bons albums depuis dix ans se comptent sur les doigts de la main. Filter a bien essayé de s'en détacher un peu, mais c'est bien là tout le problème qu'on peut leur reprocher. L'intention était bonne, mais pas la réalisation malheureusement...
Bref pour résumer, Filter est fatigué, pas systématiquement ridicule ou complètement sous l'eau, mais n'en finit plus de ramer pour retrouver la fougue et la rage de ses débuts.
Alors forcément, quand on annonce un retour aux sources, pour un groupe qui a largement marqué les esprits à ses débuts, avec des pépites rock / indus comme Short Bus ou Title Of Record, on espère secrètement avoir entre les mains un bon gros paquet d'arguments qui redorera le blason des américains.
Si on met de côté la prod, comme toujours très léchée par le groupe - Richard Patrick mettant toujours un point d'honneur à arrondir les angles au moyen d'artifices divers sur des compos parfois (souvent en fait) vides d'intérêt - le come back 90's est plutôt bien mis en avant, bien maîtrisé même ; on est très loin des trois derniers albums en date. Exit les expériences maladroites, exit le rock organique "easy listening" et place aux tartines de goudron et de noirceur robotisée qu'on espérait plus retrouver chez Filter. Dès les premières notes de l'album, on retrouve avec plaisir les automatismes du filtre d'antan, ça vocifère, ça susurre, ça fraise ton cerveau, usine tes oreilles à grand coups de breaks électro (Mother E, Nothing In My Hands), et le tout est assez cohérent pour ne pas s'en lasser rapidement. Bref l'orchestre symphonique des industries de Cleveland est de retour aux affaires, et ça, ça fait franchement plaisir !
Alors ne nous emballons pas trop vite non plus, tout ça n'est pas d'une fraîcheur ou d'une originalité frappantes, et on compte tout de même une bonne flopée de refrains et gimmicks ultra faciles (le single Take Me To Heaven par exemple, dégueulasse), déjà entendus cent fois ailleurs (et même parfois au sein du même groupe) et à la limite de la faute de goût. Néanmoins Filter a le mérite de proposer aussi quelques titres indus vraiment percutants, Mother E et son monologue rageur, les très efficaces Nothing In My Hands et Pride Flag, l'entêtant Your Bullets ou l'étrange et perfide Welcome To The Suck.
Pas fou, pas mauvais non plus en définitive...
Au final, la balance est plutôt positive, l'effort concluant et salutaire, alors ne boudons pas une fois de plus ce groupe qui mérite de ne pas être oublié.
Si vous êtes prêts à tourner la page de l'épisode "je tourne en rond et m'enlise album après album" auquel le groupe semble s'être attaché jusqu'ici, si le fait de ressasser encore et encore les mêmes riffs et effets de prod déjà entendus cent fois dans la discographie du groupe (ou ailleurs, 16 Volt par exemple, Nine Inch Nails) ne vous gène pas le moins du monde et si vous cherchez du gros son indus qui tâche, vous pourriez passer un bon moment avec ce Crazy Eyes sans prétention.
Et si vous attendiez le moindre petit signe d'une quelconque renaissance d'un groupe emblématique du rock indus, et que vous êtes prêts à excuser tout ce qui a été dit et fait précédemment, alors vous pourriez passer un TRES bon moment.
A écouter : Si vous êtes encore branché Indus à l'ancienne...