Comme dans un aquarium. Des 15 collaborations furtives qui ont émaillé la série du label néerlandais, celle entre Christian Fennesz et Mark Linkous alias Sparklehorse, est sans doute l'une des plus réussies. On rappellera d'abord, brièvement, le concept : des artistes réunis dans un studio composent, au gré de leurs expérimentations et improvisations, un matériel spontané, né d'une rencontre et destiné à mourir lorsque les portes de l'extérieur s'ouvrent à nouveau, deux jours plus tard.
Ce n'est pas un secret, l'Autrichien et l'Américain aiment mêler leurs sonorités, que ce soit en live ou sur album (Fennesz avait déjà travaillé sur un disque de Sparklehorse). Et, dès l'ouverture sur Music Box of Snakes, l'impression se confirme : ces deux-là s'entendent comme larrons en foire. Le travail de nappes synthétiques de Fennesz enrobe à la perfection les touches organiques (flûte, guitare) de Linkous. D'abord effacé, ce dernier fait ensuite émerger un chant fragile, poussé par la vague ambient lancinante du premier (Goodnight Sweetheart). Le disque vogue en eaux calmes jusqu'à sa digne conclusion, la courte Christian's Guitar Piece qui répond à celui de Sparklehorse, entendu auparavant. Echange des rôles, fusion des instruments, tout se fait sans heurts : l'eau de cet aquarium a ceci de magique qu'elle dégage un ensemble homogène, sans percussion, tout en coton.
La collaboration Fennesz & Sparklehorse repose sur une musique nébuleuse, de celles qui s'apprécient les yeux mi-clos le long d'une frontière indéfinie. Même les perturbations bruitistes et hypnotisantes des 11 minutes de NC Bongo Buddy n'auront pas raison de la quiétude qui parcourt l'album ; au contraire, elles l'enfoncent dans un uni apaisant, entre le craquement réconfortant du vinyl qui tourne et le clapotis de l'eau qui dort. Plus qu'à entendre, le duo donne alors à rêver, If My Heart s'autorisant même un petit soupir poussé dans un lyrisme retenu, à l'écho aquatique.
En ouvrant son jeu musical et lui permettant de s'aérer, Fennesz garde ici tout son sens de la profondeur, un maniement de ses sonorités qui confine à la précision chirurgicale tantôt en figure principale, tantôt en support de luxe. Mark Linkous, pour sa part, après sa collaboration avec Danger Mouse sur Dark Night of The Soul (2009), confirme son statut de caméléon sur la scène musicale, intégrant son jeu parfaitement dans l'univers de l'autre. Deux artistes comme deux poissons dans l'eau, en somme. Un album pour se défier de l'eau qui dort.
A écouter : Music Box of Snakes - Goodnight Sweetheart - NC Bongo Buddy