Il était difficile de passer à côté de Tahliah Barnett, Formerly Known As Twigs, dans les listes de fin d'année 2014, les indépendantes comme les plus mainstream. Cette ancienne danseuse de R&B s'est ainsi révélée au public avec un premier LP après deux courts albums prometteurs. Si l'on met de côté l'exposition médiatique - inévitable, force est de reconnaître que LP1 contient en lui cette fragile délicatesse propre à l'éclosion d'artistes promis à de grandes choses.
LP1, c'est avant tout une pochette qui interpelle. Qu'arrive-t-il à cette jeune fille au regard fatigué (ou implorant) ? Ces marques rouges sont-elles le résultat brutal et indécent de coups physiques ? La métaphore d'une violence plus intérieure qui exploserait à la face du monde ? Ou est-ce l'émotion d'être ainsi exposée au public qui la fait rougir ? L'énigme demeure, par la suite, tout au long d'un album traversé de doutes et de questionnements, tiraillé entre une sensualité débordante à partager, et des déchirements intérieurs insolubles. Avec une voix cristalline emplie de grâce ("Preface" renvoie sensiblement à l'introductive "World" de Julia Holter sur Loud City Song), émergeant au sein d'une ambiance pesante à la limite de la perversité, FKA Twigs exhale la sexualité et le souffre de l'amour ("Hours"). Elle insuffle un érotisme soft, qui pourrait tenir pour du masochisme à son apogée. Soumise, elle affirme son entière dévotion. Elle ne s'appartient plus. Son rapport au corps, complexe, devient à la fois objet de convoitise et de répulsion. L'auditeur, lui, en devient entremetteur malgré lui.
L'instrumentation low tempo à la rythmique R&B trébuchante ne trompe pas. Minimaliste mais pernicieuse, elle sonde le chaud et le froid, colorant progressivement la soie des ébats d'une teinte pourpre. En écho, l'artiste épuisée perd ses formes, les mots leur sens. Sur "Pendulum", Barnett fait face à ses désillusions. Trompée, abandonnée, elle découvre la solitude et assiste à l'effondrement de ses croyances. Au-delà du ressentiment, il y a cette douloureuse, mais nécessaire, remise en cause de soi qui traverse en filigrane l'ensemble du disque ("Video Girl" est un magnifique titre sur l'épuisement de ses années passées à danser dans les clips d'autres chanteuses, et la peur de ne pas parvenir à se révéler en tant qu'artiste). On la sent vaciller sur des bases electro en équilibre instable ; fière, elle trouvera la parade pour continuer.
Le niveau d'engagement d'un artiste n'est jamais étranger au niveau de qualité de son disque. Les arrangements soul précis témoignent incontestablement d'un désir honnête de bien faire. Dans les expérimentations que la Britannique met en œuvre, j'aurais volontiers fait référence à Björk - à l'accent R&B, mais LP1 dégage ce naïf supplément d'âme qui l'en éloigne rapidement. Le talent de FKA Twigs réside en effet dans son intelligence à jouer tout en retenue avec une sensibilité à fleur de peau. LP1 est son album d'apprentissage, plein de vie, plein d'elle, grâce auquel Tahliah Barnett s'ouvre enfin au monde. Reste à espérer que ce nouveau monde ne l'avalera pas.