Evergrey

Metal Progressif

Suède

A Heartless Portrait: The Orphean Testament

2022
Type : Album (LP)
Labels : Napalm Records
Tracklist
01. Save Us
02. Midwinter Calls
03. Ominous
04. Call Out The Dark
05. The Orphean Testament
06. Reawakening
07. The Great Unwashed
08. Heartless
09. Blindfolded
10. Wildfires

Chronique

par OonaInked

Signés chez Napalm Records depuis l’été 2021, les géants suédois du Metal Mélodique reviennent en force avec leur 13ème enregistrement studio. En presque 30 ans de carrière ultra-prolifique et une identité clairement assumée, Evergrey maintient une cadence de sortie effrénée : en moyenne un album tous les deux ans, et déjà trois depuis 2019. Moins d’un an et demi après Escape of The Phoenix (2021), une question légitime pourrait se poser : la qualité est-elle toujours au rendez-vous ? La récidive n’a-t-elle pas été un peu rapide ?

Sur la forme, ils placent haut la barre d’entrée de jeu : des lignes de chant simples mais efficaces, des refrains catchy, et de lepicness en veux-tu en voilà accentuée par l’ajout de chœurs enregistrés par les fans, la réverbération et le delay travaillés sur la voix de Tom S. Englund. Ce dernier n’hésitera pas à démontrer sa maîtrise de ses cordes vocales tout au long de l’album, avec davantage d’envolées en voix de tête et se permet plus de libertés dans ses toplines pop-esques imprimées de mélancolie, comme le merveilleux refrain de The Great UnwashedNous avons sur la globalité de leur carrière une évolution plutôt lente mais sensée, s’adaptant aux tendances actuelles, et les quelques touches artificielles d’autotune se font plutôt discrètes. Nous sommes indubitablement loin du « brut de décoffrage » presque kitch de The Dark Discovery (1998), et ce n’est pas plus mal.

Même si plus d’un auraient apprécié entendre un peu plus la double pédale remuer la poussière, et outre les faibles variations du jeu du batteur Jonas Ekdhal, que ce soit dans les plans utilisés ou dans le tempo médium rarement en dehors des 85-110 bpm, c’est concis, efficace, et les nappes atmosphériques du clavier servent avec brio leur côté mélodique. Les riffs et soli de Henrik Danhage (guitare) et de Rikard Zander (clavier) ne sont pas avares en textures et émotions, et puiseront dans le Power, le Doom, en passant par des influences orientalisantes sur le titre éponyme, qui ne sont pas sans évoquer l’intro entraînante de Get Your Freedom Back par Myrath, autre groupe émérite gorgé d’épopées. De quoi rajouter de la substance ! Cependant, l’intro de Call Out The Dark rappelle dangereusement, jusque dans la tonalité, Sisters de Pain of Salvation, donc pour qualifier le quartet d’inspiré, on repassera.

Qu’en est-il du fond ? Plantons le décor, voulez-vous. Trouver sa place dans une société prisonnière et technocratique, s’y sentir étranger, et comment elle nous affecte, tels sont les thèmes récurrents de l’album. Nous sommes spectateurs de « l’aventure » d’un John Doe visiblement torturé. Les deux singles Save Us et Midwinter Calls ouvrent le bal et offrent un peu plus de précision sur la scène d’exposition. Dès les premiers vers sont évoqués le désarroi, la solitude, le vide, la peur d’un monde créé de toutes pièces, frôlant le mythe. Le John, presque désillusionné, manifeste clairement un besoin d’aide après que ses repères fussent détruits (« My hideout was torn down coldly, needed help (…) I’ll carry on, I must believe ») ; C’est à partir de Call Out The Dark et The Orphean Testament qu’une tierce personne intervient (si l’on choisit de ne pas comprendre le phrasé comme le « you » général). Telle une mauvaise rom-com apocalyptique et zombiesque, John pense être le dernier survivant, MAIS ! C’était sans compter sa rencontre avec une Jane Doe toute aussi ténébreuse et torturée. Seuls contre le monde, peuvent-ils se faire confiance mutuellement, malgré leurs vécus similaires remplis de noirceur ? Que de dilemmes, que de tortures… Et que de condensés de clichés. Accrochez-vous, nous sommes à peine à la moitié de lalbum.

Arrive ensuite la notion d’espoir, encore au stade embryonnaire et à deux doigts d’être avortée par notre John de ses morts (« I am done hoping for freedom »), refusant l’optimisme, las du froid et de la fatigue. Dans The Great Unwashed, l’embryon devient fœtus malgré les chaînes métaphoriques qui semblaient emprisonner notre héros jusque-là. Et celui-ci, dans sa recherche d’une porte de sortie salvatrice pour échapper à ce « mensonge collectif » qu’est notre société, envisage enfin l’idée que l’union fait la force. A la bonne heure !

En dehors du classicisme apparent de l’album, la faiblesse principale venant entacher ce tableau turquoise et rouge serait le dernier titre, Wildfires : une balade acoustique supposée achever ce voyage émotionnel. Là où dans Ominous le feu intérieur n’était plus qu’à l’état de braises, mais la volonté d’avancer était toujours manifeste, ici dans Wildfires, le sous-texte est évident : « I've always been dreaming of new days, where I'm stronger and I could feel less, think less so silence could solve me (…) My heart’s worn out and I’m all out of fire (…) Cause all I do now is weakening and all I've got to look forward to is truth ». L’énergie n’est plus présente, autant dans la chanson que dans le for intérieur de son protagoniste, meurtri par trop de cicatrices. Tout ce qu’il lui reste, ce n’est même plus l’attente d’un renouveau, c'est une possibilité pour un John 2.0, suffisamment insensible pour supporter ce monde hostile contant une vie ne valant pas la peine d’être vécue. Ah bah d’accord, tu parles d’un flop…

Toutefois, la position de ce titre en tant que chapitre final est logique et concordante avec le message, le but étant probablement de laisser l’auditeur dans un état introspectif et contemplatif d’un soleil rouge se couchant sur l’océan de la vie du personnage principal… Et peut-être un peu la nôtre ? L’intention est compréhensible - jouer la carte relatable « nous avons tous un peu de John en chacun de nous » permettant de s’identifier à lui dans une certaine mesure, mais le trop plein de sentiments tombe rapidement dans le cliché défaitiste là où une outro grandiose et encore plus épique aurait été attendue.

La formation nous aura habitué à une certaine constante ; A Heartless Portrait n’y fera pas exception. Evergrey a « toujours fait du Evergrey », sachant allier sensibilité musicale et textuelle ; un travail toujours « à fleur de peau », comme qualifié précédemment par le collègue Zbrah, mais rien de révolutionnaire ici. Avoir un concept, un fil rouge conducteur est, au-delà de tout ça, bien pensé, mais peut-être ne faudrait-il pas se précipiter dans le choix du thème, quitte à tomber dans la facilité et la neurasthénie complètement dénuée de tout optimisme. On fait du Power, pas du Doom, merde. :)

12 pour le fond, 15 pour la forme.

13

Les critiques des lecteurs

Moyenne 0
Avis 0