Enslaved : fer de lance du Black Metal, puis d’une certaine idée de son renouveau depuis maintenant trois albums - pour autant de réussites. Les norvégiens sont pour ainsi dire des monstres de la scène extrême. La sortie de Vertebrae, leur dixième album n’est donc pas la moitié d’un événement.
Une fois encore Enslaved a évolué, poussant toujours plus loin sa démarche de diversification. C’en est maintenant fini du raw Black Metal, mais cela nous le savions déjà. Désormais Enslaved se nourrit d’influences progressives, a allégé ses sonorités. Isa avait magistralement ouvert la voie, bien lancé par un Below The Lights non moins excellent mais appartenant encore à une autre période de la vie du groupe. Ruun avait poursuivi l’œuvre entamée, aérant toujours plus le Metal des Norvégiens… Vertebrae vient aujourd’hui certainement clore ce nouveau chapitre.
Enslaved n’est donc pas revenu à ses premières amours, loin de là. Les quelques déçus des quatre dernières années pourront donc surement continuer à l’être. D’autant plus que le quintet prend ici crânement le pari d’aller au bout de sa démarche et est cette fois clairement passé du côté progressif de la force. D’avantage de chant clair (Center), d’avantage de feeling Floydien, encore moins de Black Métal : le pas franchi est saisissant. Logique car dans la continuité des albums précédents, mais saisissant. Un constat déroutant, voire déplaisant tant Isa, déjà, avait réussi à allier puissance, classe, agressivité et fragilité à merveille pour définitivement faire de la formation une entité musicale entièrement à part. Beaucoup espéraient dès lors l'arrivée d'un autre ovni. Enslaved, eux, n’ont jamais essayé de reproduire un tel chef d’œuvre. Judicieux choix, le challenge était probablement insurmontable.
A la place nous voilà avec Vertebrae calé entre les deux oreilles. C’est peut être déjà la troisième écoute et toujours le même malaise sans pouvoir décrocher pour autant: où sont passés les norvégiens dans ce festin d’arrangements rock progressif agrémenté de réminiscences d’un passé bien plus furieux (The Watcher, New Dawn)? Nous serions vraiment en droit de nous poser la question. A vrai dire, ils sont toujours bien présents à leur manière.
Ouverture : Clouds. Premier contact avec Vertebrae. Un titre à la production et aux sonorités déroutantes dès les premières secondes et qui pourtant sera le déclencheur. Une fois apprivoisée, cette composition est la clef qui permettra de faire sauter le verrou des intentions d'Enslaved. Faire fi de ce que nous connaissons, de ce que nous attendions, pour aborder cet album comme n’importe quel autre (tâche loin d'etre aisée) et tout simplement constater.
Constater l’orchestration fabuleuse de ces huit morceaux (passionnant Clouds, Center qui tiendrait presque du mouvement Post dans ses instants les plus dépouillés ou ce Vertebrae presque intimiste), se régaler du travail de titan réalisé sur les guitares, apprivoiser ce shriek parfois totalement mis à nu (la floydienne Ground), privé de la saturation grésillante et du riffing puissant que l’on était en droit d’attendre, s’évader. La démarche musicale d’Enslaved est infiniment personnelle, restant fidèle à un seul et unique crédo : toujours et encore plus loin. Les norvégiens composent la musique qui les passionne et non celle que l’on attend d’eux. Enslaved évolue sans se renier, tant pis pour ceux qui seraient restés bloqués dans une époque plus reculée de leur discographie. Le travail de mixage effectué par le groupe est d’ailleurs formidablement exploité par Joe Barresi qui confirme une fois de plus son talent. L’ambiance est belle et posée, un brin mélancolique voire triste, l’accroche de plus en plus aisée au fil des écoutes. L’addiction pourrait bien finir par poindre…
Vertebrae, album facile et mou ou exigeant et inspiré ? Dans l’absolu, la deuxième option parait évidente. Au regard de la discographie d’Enslaved, un peu moins… et pourtant… et justement même. Jamais les norvégiens n’ont livré tous leurs secrets lors d’un premier contact et Vertebrae ne déroge absolument pas à la règle malgré ses abords trompeusement accessibles. Aussi, serait-il idiot de passer à coté de cinquante minutes d’évasion pour une simple question d’impatience… non?
Enslaved au sommet.