La genèse d’Eleanora en dit long sur la musique des Gantois et en fournit une parfaite exégèse. Formé en 2007 avec pour principale influence les grandes pointures de la scène Post (Cult of Luna, Pelican et Isis), le groupe a progressivement évolué vers un son plus massif, plus technique et surtout plus rapide au grès de l’incorporation successive de nouveaux membres. Les quatre pièces d’Allure, qui pourraient n’en former qu’une tant la cohérence qui se dégage de l’ensemble est impressionnante, sont ainsi le résultat de la lente sédimentation de ces diverses influences, vents contraires qui se combinent pour former une œuvre aux contours complexes.
Dès les premiers instants, on comprend que la durée des quatre titres, qui oscille entre 8 et 16 minutes, est une conséquence plus qu’une fin en soi obtenue en venant greffer maladroitement des excroissances inutiles. Car en effet, arriver à créer, en jouant sur l’alternance entre passages suffocants et longs développements Post, cette sensation d'harcèlement permanent et de précarité dans les accalmies nécessite du temps. Le bout du tunnel, le phare dans la tempête… les images qui viennent naturellement à l’esprit pour décrire comment les Belges nous extraient de la tourmente pour nous emmener dans l’œil du cyclone se bousculent, un peu faciles. Au milieu du chaos finit toujours par émerger un riff dont la mélodie mélancolique se développe et prend progressivement le dessus. Le changement de rythme qui l’accompagne parachève l’effet en ouvrant les espaces à coups de martellements dont la puissance est amplifiée par de judicieux effets de réverbérations. Il n’est alors plus question de rage. L’adrénaline s'évanouissant, ne reste plus que la douleur et un sentiment de désespoir absolu.
Alors bien sûr, puisqu’il s’agit d’un groupe Belge à l’esthétique sombre et particulièrement travaillée, on ne peut s’empêcher d’évoquer Amenra avec lesquels Eleanora avait partagé un split en 2014 mais les Gantois appartiennent à une différente obédience. La deuxième partie de Telos, présente certes une réelle similarité avec le son de leurs confrères de Courtrai mais comparaison n'est pas raison. A ce petit jeu des analogies, les points d’accroche avec la scène Hardcore chaotique « à la française » (As We Draw, Celeste et consorts) apparaissent de façon bien plus évidente tant l’énergie, la rébellion dans la douleur et l’insoumission cathartique du chant témoignent d’approches similaires, notamment en matière de chant.
Assez difficile à appréhender en première approche, Allure est de ces albums qui se méritent et nécessitent une certaine persévérance. Pour peu que l’on s’en donne les moyens et le temps, juste récompense, le plaisir d’écoute n’en est alors que décuplé !
A écouter : Menis et les 3 titres suivants