Earth. Aussi intemporelle que le nom du groupe, la musique du trio semble avoir traversé les siècles sans flancher. A chaque lancement d'un album de Earth, la même impression d'une infatigable immortalité se dégage. Il faut dire que Dylan Carlson, avec ses airs de cow-boy fatigué, porte les rouflaquettes, les bottes à éperons et la veste en vieux cuir comme personne. Ceci étant établi, c'est sûr, Earth nous enterrera tous.
Après le dyptique Angels of Darkness, Demons of Light, inspiré par le folklore anglais, et qui avait vu le trio intégrer un violoncelle à ses compositions, Earth aborde Primitive&Deadly comme un retour à une approche plus directe et plus instinctive, à la manière de Bees... (2008, album avec lequel il partage également le mauvais goût d'une pochette). Comprendre : un propos alourdi, gravitant autour de sonorités sèches et moins propice aux errances mélodiques. En ouverture, le riff de plomb de "Torn by the Fox of the Crescent Moon" en boucle a déjà des airs de monstre. Avec ses neuf minutes au compteur, il ne laisse aucun répit. Sans renier ses origines Americana, le titre est une belle manière de débuter pour un groupe qui a plutôt l'habitude de prendre son temps. Enivrant et hypnotique, lié par la frappe sèche d'Adrienne Davies, "Torn..." reprend le meilleur de Earth en insistant sur son côté heavy. Une impression qui tient durablement la corde jusqu'à la la clôture sur "Rooks across the Gates", ballade alanguie au rythme de rocking-chair comme le groupe en égrène depuis plus de vingt ans maintenant.
Je ne sais pas quand j'ai cessé de vouloir être surpris par Earth. Ce moment où j'ai considéré que leurs morceaux se suffisaient à eux-mêmes et que Earth pouvait toujours faire du Earth et jouer en boucle ses quatre pauvres plans, j'en avais rien à faire tant que j'avais le voyage. Primitive & Deadly n'offre rien de plus (mais, sérieusement, ces effets de guitare, on pourrait les laisser tourner à l'infini) si ce n'est que l'on sent, frémissant, que la bande de Dylan Carlson a cherché une nouvelle manière d'appréhender ses compositions. Peut-être faut-il aller chercher du côté de son travail en solo ou de composition de bandes originales pour saisir l'évolution.
Les ajouts les plus notables ici sont sans aucun doute les vocaux de Mark Lanegan et de Rabia Shaheen Qazi (Rose Windows), premiers à prendre le micro depuis Pentastar (1996). Les deux chanteurs se taillent d'ailleurs la part du lion sur cette nouvelle sortie, et leur participation finit par tomber sous le sceau de l'évidence. Mark Lanegan et sa voix de tenancier de saloon carburant au whisky frelaté, complète dans les tons le tableau de l'univers désolé de Earth. Son cachet se révèle loin d'un simple ajout de voix : offrant une perspective inédite sur "There Is A Serpent Coming", il mène la barque avec son grain de patron si personnel - offrant par ailleurs le titre de l'album dans ses lyrics.
Plus perchée encore, la contribution de la chanteuse des Rose Windows n'a pas à rougir de la comparaison. Natif de Seattle, comme Earth, son collectif offre un mélange coloré de rock psychédélique et de world music plutôt réussi (songez au penchant californien de Goat). Si l'alliance avec Earth peut surprendre, sur "From the Zodiacal Light", Shaheen Qazi fait fondre sa voix incantatoire avec l'instrumentation lascive du trio apportant un côté chamanique dopé au peyotl intéressant. Un pari, pour le groupe, qui a le mérite de dépoussiérer les habitudes. Par comparaison, la fin du disque parait alors un peu moins puissante, comme si Earth avait finalement tout dit sur sa cuvée 2014 en deux morceaux, qui auraient néanmoins mérité d'être plus espacés sur album.
Qu'est-ce qui empêche Earth de devenir un groupe Instagram, et de considérer leurs albums comme une succession de morceaux creux artificiellement jaunis au filtre sépia? A vrai dire, le trio pue l'authenticité. Il reste, à chaque écoute, cet arrière-goût de poussière et ces images de grands espaces infinis sous un soleil écrasant. Au-delà de sa fausse neurasthénie, Earth prône l'ouverture et brouille les frontières. La traversée du désert n'est, pour eux on l'espère, pas terminée.
C'est un nouvel aspect de Earth qui se révèle à nous,un peu moins homogène que leurs sorties récentes et plus massif peut-être.
Comme @origine, déception sur la deuxième piste, la magie n'opère pas, à l'inverse des titres avec la vocaliste de Rose Windows avec un petit côté "occult rock à chanteuse" que je trouve excellents.
Album agréable avec un Earth qui repense encore une fois sa musique.