logo Earth

Biographie

Earth

Earth se forme à Seattle en 1990, sur l'initiative de Greg Babior, Slim Moon et de Dylan Carlson, leader et seul rescapé line up originel à ce jour. Le groupe se cherche et finit par opter pour une approche minimaliste et expérimentale du rock. Distorsion au max, priorité aux vibrations. Et puis Extra-Capsular Extraction est enregistré, avec la participation de Joe Preston (Melvins, Sunn O)))...) et Kurt Cobain (Nirvana), ami cher de Dylan Carlson. La légende veut d'ailleurs que ce soit lui ait offert à Cobain l'arme avec laquelle il s'est suicidé. Mais passons.

Le meilleur est à venir en 1993 avec la sortie de Earth 2 sur Sub Pop, qui est aujourd'hui encore considéré comme un disque majeur de Drone. Il ouvrira la voie à de nombreuses formations comme Sunn O))) (à la base un tribute band de Earth), Boris ou Nadja, pour ne citer qu'eux. Au dos de l'album, des citations lui prêtent des vertus bienfaisantes sur les migraines et le stress quotidien...

Le groupe ira ensuite explorer plusieurs directions, dont le Stoner avec l'excellent Pentastar. S'en suit un long silence radio à partir de 1997, jusqu'à leur signature chez les doomeux de Southern Lord pour la sortie de Hex; Or Printing In The Infernal Method. Changement radical : fini les vibrations à outrance, place à une musique dépouillée, toujours aussi lente, riche en sonorités Americana. Le groupe continuera dans cette voie avec Hibernaculum qui, en plus de reprises d'anciens titres dans leur nouveau style, propose un documentaire d'une heure réalisé par Seldon Hunt, artiste réputé pour ses nombreux travaux avec des groupes tels que Neurosis, Isis ou Pelican.

En 2008, The Bees Made Honey In The Lion's Skull confirme de manière définitive la classe Dylan Carlson et ses nouveaux acolytes (Adrienne Davies, Jonas Haskins et Don McGreevy). Le groupe trace ainsi sa voie, au gré de ses inspirations et des side projects de Dylan Carlson (disque solo, bande originale de film), intégrant banjo, violoncelle ou même chant à ses compositions. Moins ensoleillé, plus sombre, le diptyque Angels Of Darkness, Demons Of Light sort en deux parties, toujours chez Southern Lord. Puis vient Primitive And Deadly, surprenant par son intégration des voix de  Mark Lanegan et de Rabia Shaheen Qazi (Rose Windows), bien que Earth joue ces titres sans chant en live. Full Upon Her Burning Lips lui, signe un retour au Earth "traditionnel" et sort chez Sargent House en 2019. 

16 / 20
3 commentaires (15.17/20).
logo album du moment logo amazon

Full Upon Her Burning Lips ( 2019 )

Earth reprend son bâton de pèlerin pour une marche aride à rapprocher de la période The Bees Made Honey In The Lion’s Skull. Exit les riffs lourds et les voix posées sur Primitive And Deadly, Dylan Carlson revient aux notes égrenées une à une, appuyées par la batterie lascive et glissante d’Adrienne Davies. Une recette déjà appliquée sur (au moins) la moitié de la carrière du groupe qui parvient néanmoins à se renouveler à chaque fois, dans les compos et la production. 

Full Upon Her Burning Lips est cependant moins lumineux que The Bees..., moins minimaliste que le diptyque Angels Of Darkness Demons Of Light. En fait, pas mal de titres sentent le danger sur cet album avec leurs attaques sombres, sans chichis ou trucages, mais faisant parler une maîtrise des silences et des gammes, doublée d’une alchimie entre les musiciens. Pour preuve : The Colour Of Poison qui prend à revers avec son deuxième motif très « agressif » (toute proportion gardée). Hyper frontal et appuyé, ce passage juste crunchy a de quoi mettre par terre bon nombre de groupes Stoner Doom et leurs kilowatts d’amplis. La tension de Datura’s Crimson Veil rappellera Torn By The Fox Of The Crescent Moon, ouverture massive et lugubre du précédent disque. Earth nous conte aussi les mirages par des notes fragiles et vascillantes sur le fantomatique Maiden’s Catafalque ou Descending Belladona. Exaltation Of Larks, également dans cette veine plus calme, donne à voir des contours flous, des guitares rondes et insaisissables dansant sur l’horizon. 

Et puis, une fois les chaudes vibrations amadouées, l’heure est à l’exploration du travail d’Adrienne Davies, batteuse créative s’il en est et capable d’insuffler une personnalité insoupçonnée à un kit de batterie. Adrienne est le vent qui souffle la poussière (Datura’s Crimson Veils), le verre et la ferraille qui se brisent (The Mandrake’s Hymn), ses cymbales sont les oasis sous le soleil de plomb érigé par Carlson. Et la musicienne aura beau jouer lentement, elle créée avec brio ces liaisons entre les temps, les habillant de son charleston traînant et de sa grosse caisse fatiguée, alimentant un groove aussi réfléchi qu’implacable. Le jeu d’Adrienne regorge de reflets, de tintements très bien mis en valeur par la production, et s’affirme plus que jamais comme l’un des deux piliers indéfectibles du pionnier Drone. 

Presque trente ans après leurs débuts, toujours pas de compromis. Earth est toujours lent, répétitif, hypnotique, condamné à errer dans le désert pour toujours. Les habitués du groupe trouveront sans problème leur bonheur dans ce disque qui ajoute (comme ses prédécesseurs) une couleur nouvelle à la disco des Américains. Bien sûr, il faudra prêter attention aux nuances, aux atmosphères, se laisser porter et y revenir plusieurs fois afin de s’imprégner en profondeur de ces dix titres.

15.5 / 20
4 commentaires (15.875/20).
logo amazon

Primitive And Deadly ( 2014 )

Earth. Aussi intemporelle que le nom du groupe, la musique du trio semble avoir traversé les siècles sans flancher. A chaque lancement d'un album de Earth, la même impression d'une infatigable immortalité se dégage. Il faut dire que Dylan Carlson, avec ses airs de cow-boy fatigué, porte les rouflaquettes, les bottes à éperons et la veste en vieux cuir comme personne. Ceci étant établi, c'est sûr, Earth nous enterrera tous.

Après le dyptique Angels of Darkness, Demons of Light, inspiré par le folklore anglais, et qui avait vu le trio intégrer un violoncelle à ses compositions, Earth aborde Primitive&Deadly comme un retour à une approche plus directe et plus instinctive, à la manière de Bees... (2008, album avec lequel il partage également le mauvais goût d'une pochette). Comprendre : un propos alourdi, gravitant autour de sonorités sèches et moins propice aux errances mélodiques. En ouverture, le riff de plomb de "Torn by the Fox of the Crescent Moon" en boucle a déjà des airs de monstre. Avec ses neuf minutes au compteur, il ne laisse aucun répit. Sans renier ses origines Americana, le titre est une belle manière de débuter pour un groupe qui a plutôt l'habitude de prendre son temps. Enivrant et hypnotique, lié par la frappe sèche d'Adrienne Davies, "Torn..." reprend le meilleur de Earth en insistant sur son côté heavy. Une impression qui tient durablement la corde jusqu'à la la clôture sur "Rooks across the Gates", ballade alanguie au rythme de rocking-chair comme le groupe en égrène depuis plus de vingt ans maintenant.

Je ne sais pas quand j'ai cessé de vouloir être surpris par Earth. Ce moment où j'ai considéré que leurs morceaux se suffisaient à eux-mêmes et que Earth pouvait toujours faire du Earth et jouer en boucle ses quatre pauvres plans, j'en avais rien à faire tant que j'avais le voyage. Primitive & Deadly n'offre rien de plus (mais, sérieusement, ces effets de guitare, on pourrait les laisser tourner à l'infini) si ce n'est que l'on sent, frémissant, que la bande de Dylan Carlson a cherché une nouvelle manière d'appréhender ses compositions. Peut-être faut-il aller chercher du côté de son travail en solo ou de composition de bandes originales pour saisir l'évolution.
Les ajouts les plus notables ici sont sans aucun doute les vocaux de Mark Lanegan et de Rabia Shaheen Qazi (Rose Windows), premiers à prendre le micro depuis Pentastar (1996). Les deux chanteurs se taillent d'ailleurs la part du lion sur cette nouvelle sortie, et leur participation finit par tomber sous le sceau de l'évidence. Mark Lanegan et sa voix de tenancier de saloon carburant au whisky frelaté, complète dans les tons le tableau de l'univers désolé de Earth. Son cachet se révèle loin d'un simple ajout de voix : offrant une perspective inédite sur "There Is A Serpent Coming", il mène la barque avec son grain de patron si personnel - offrant par ailleurs le titre de l'album dans ses lyrics.
Plus perchée encore, la contribution de la chanteuse des Rose Windows n'a pas à rougir de la comparaison. Natif de Seattle, comme Earth, son collectif offre un mélange coloré de rock psychédélique et de world music plutôt réussi (songez au penchant californien de Goat). Si l'alliance avec Earth peut surprendre, sur "From the Zodiacal Light", Shaheen Qazi fait fondre sa voix incantatoire avec l'instrumentation lascive du trio apportant un côté chamanique dopé au peyotl intéressant. Un pari, pour le groupe, qui a le mérite de dépoussiérer les habitudes. Par comparaison, la fin du disque parait alors un peu moins puissante, comme si Earth avait finalement tout dit sur sa cuvée 2014 en deux morceaux, qui auraient néanmoins mérité d'être plus espacés sur album.

Qu'est-ce qui empêche Earth de devenir un groupe Instagram, et de considérer leurs albums comme une succession de morceaux creux artificiellement jaunis au filtre sépia? A vrai dire, le trio pue l'authenticité. Il reste, à chaque écoute, cet arrière-goût de poussière et ces images de grands espaces infinis sous un soleil écrasant. Au-delà de sa fausse neurasthénie, Earth prône l'ouverture et brouille les frontières. La traversée du désert n'est, pour eux on l'espère, pas terminée.

15.5 / 20
3 commentaires (14.17/20).
logo amazon

Angels of Darkness, Demons of Light II ( 2012 )

Enregistré lors des mêmes sessions que le premier opus sorti en 2011, Angels of Darkness, Demons of Light II est une capture directe des séances d'improvisation du quatuor de Seattle. L'autre face d'un dyptique ambitieux, comme une nouvelle étape dans la déjà longue carrière du groupe. Autant prévenir, cependant : n'attendez pas la révolution. Dans le désert, personne ne vous entend vous révolter.

Depuis 1990, de vibrations en expérimentations, la bande de Dylan Carlson gravite sensiblement autour des mêmes thèmes. Et même si la rupture Hex, or Printing in the Infernal Method a induit en son temps un changement d'orientation musicale, sa discographie ressemble à une infinie et aride traversée. La chronique se répète, de métaphores en analogies inévitables. Un disque de Earth possède ce déroulement métronomique, affreusement lancinant et, pour tout dire, prévisible, qui sied à toute étendue sans frontières. On imagine mal, après 20 ans de carrière, le groupe se renouveler. Cependant, l'introduction d'un violoncelle (Lori Goldston, aperçue lors de la session Unplugged de Nirvana) sur la première partie de Angels of Darkness... avait tout d'un pavé dans l'oasis. Tournoyant autour des lignes de guitare de Carlson, l'instrument en cristallisait la portée et se faisait l'écho de la face plus sombre du groupe. A l'écoute de "Old Black" ou de "Father Midnight", l'évolution paraissait naturelle, suffisamment marquante en tout cas, pour apporter un nouveau souffle à des compositions rôdées. 

Ici, n'attendez pas la révolution mais gardez les yeux ouverts tout de même. Ce deuxième volume, qui peut s'écouter indépendamment du premier, possède en effet de quoi prolonger l'intérêt, tout au long de ses 4 pièces. L'approche plus libre, apportée par la notion d'"improvisation", permet au violoncelle de se faire une véritable place au sein du groupe et de libérer sa nouvelle dynamique, notamment sur la deuxième et la troisième piste du disque. Décor de traversées en solitaire, Earth n'avait jamais autant sonner comme la bande-son de ces romans américains aux anti-héros décadents et poussiéreux, tels ceux de Cormac McCarthy, qui témoignent de la fin d'une époque dont les racines se délitent. "Don't that picture look dusty?". A l'écoute de "Waltz (A Multiplicity of Doors)", on ne peut s'empêcher de penser au crépusculaire The Assassination of Jesse James by The Coward Robert Ford d'Andrew Dominik, dont la formidable BO fut composée par Nick Cave & Warren Ellis. Dernières lueurs avant la nuit. Angels of Darkness... II baigne dans une lumière trouble, émaillée d'effets délicats, parfois aux frontières d'un voyage chamanique ("His Teeth Old Brightly Shine").

C'est peut-être le principal atout de ce disque, plus visuel que les précédents, qui en dit long sur ce dont est encore capable le groupe. Il est marquant de constater sur ces sessions que chaque membre agit en électron libre au sein d'un ensemble d'une rare cohérence pour un groupe instrumental, chacun à sa manière apportant une pierre à l'édifice. Au-delà de la profondeur du son des guitares et de l'inspiration sans faille de chaque coup de baguette, comme auparavant, Earth, en tant que totalité, possède dans sa besace une richesse sonore qui, imperceptiblement, lui permet de se renouveler sur chaque sortie, sauvant ces dernières de l'ennui et de l'abrutissement. Certes, et bien que Angels of Darkness... II soit un des ses disques les plus accessibles (voir la ballade americana "The Rakehell" qui clôt le disque, morceau non dénué de... groove), ses détracteurs ne changeront pas d'avis maintenant, mais les amateurs apprécieront immanquablement le voyage.

A écouter : Oui
17 / 20
6 commentaires (13.5/20).
logo album du moment logo amazon

The Bees Made Honey In The Lion's Skull ( 2008 )

Earth a bien changé depuis ses débuts. Du drone pur et dur du cultissime Earth 2, voilà qu’avec Hex […] le groupe a amorcé un voyage sans retour dans des contrées tout aussi arides, bercées par une musique puisant sa source au plus profond de leurs racines américaines. Sur The Bees Made Honey in the Lion’s Skull, le groupe est magistral. L’album est d’une profondeur sans nom, une plongée vertigineuse dans l’amérique de Earth.

Ce qui fait la force de Earth et de cet album en particulier, c’est de pouvoir créer tant avec un tel dépouillement. Dépouillée, cette dernière offrande l’est tout de même moins que le déprimant Hex. Comme le dit si bien le livret : « From darkness, light ». The Bees […] est à la fois profondement sombre et aveuglant de lumière. Il faut imaginer : c’est un peu comme si le Dead Man de Jim Jarmush prenait des couleurs, dans les mêmes tons que celles de l'artwork.

Au final, à quoi ressemble cet album ? Une batterie processionnaire, une guitare aux sonorités americana, toute aussi lente. Là où The Bees […] frappe encore plus fort, c’est dans l'ajout de touches psychédéliques avec des guitares au son profond et clair. Je vous laisse imaginer la puissance évocatrice : derrière chaque note, une image, chaque morceau devient une traversée de paysages vastes et magnifiques, à l’aube ou à l’aurore. Et une aventure sensorielle qui dépasse la simple dimension sonore.

The Bees Made Honey in the Lion’s Skull est une réussite totale, un ensemble d’éléments qui semblent tous converger vers une seule et même fin : la grâce. Earth a visiblement trouvé sa voie sur les chemins de la rédemption, à l’ombre d’une montagne de la Death Valley, et continue de marcher sereinement. Prions pour que la route soit encore longue.

A écouter : Tout