Le problème quand on commence fort, c’est qu’il faut
maintenir le rythme sous peine de voir de hautes attentes se muer en de douces déceptions.
Ça n’a visiblement pas fait peur à End qui, trois ans après From the Unforgiving Arms of God, sort le très attendu Splinters from an Ever changing Face.
On reste ici dans la continuité de l’opus précédent. On
retrouve cette tension qui saurait
reléguer Darren Aronofsky au rang d’amateur, cette hargne s’échappant de la
gorge de Brendan Murphy comme si elle était animée par sa volonté propre et ce
déluge d’information musicale qui, par un procédé tenu secret de père en fils,
ne se termine pas en cacophonie. Mieux encore, l’arrivée de Billy Rymer rajoute
une couche de virtuosité supplémentaire dans l’équation. Sans vouloir froisser
Andrew McEnaney, tout le début d’Every Empty Vein aurait une autre allure sans
les roulements, mêlés de blasts, mêlés de contretemps que seuls des maitres tels
que Rymer peuvent réaliser, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres
présents sur l’album de la maestria de l’ancien batteur de The Dillinger Escape
Plan.
Alors OK, au niveau de la batterie c’est costaud, en
revanche les cordes sont, certes, très bonnes dans ce qu’elles font mais de là
à parler de virtuosité, il y a quand même un pas. Qu’est ce qui fait que des
morceaux tels qu’Absence ou Pariah sont si prenants ? Premièrement, on ne
le dira jamais assez mais la technique est un outil musical, un moyen d’y
arriver, pas une fin en soi. Mais alors qu’est ce qui fait qu’End se démarque d’autres
groupes ayant un niveau technique similaire ? Ont-ils une construction de
morceau particulière ? Non, pas spécialement. Une meilleure production
sonore ? Non, absolument pas. Font-ils preuve d’une originalité vraiment
significative ? Ils ont leur marque de fabrique c’est sur, mais ils n’ont
pas comme Kvelertak par exemple inventé un nouveau genre musical.
Et si ça se jouait sur leur trame narrative ? Dans un
média comme le cinéma c’est souvent bien plus clair de repérer les grands axes
narratifs d’une histoire qu’en musique. Etat initial, élément perturbateur, péripéties,
conclusion, merci, au revoir. Concrètement tu prends deux points dans un carré,
tu les fais s’agiter, l’un d’eux sort, pause, l’autre l’imite, en sort également
et tout deux s’en vont. Vous n’avez vu que deux points et un carré, votre
cerveau a conçut par lui même tout une histoire autour, pour justifier et
comprendre ce qu’il voyait et lui donner une cohérence. Facile dans ces
conditions non ? En musique c’est la forme qui est le fond, il n’y a pas
de protagoniste à qui s’identifier et qui va avancer tout au long d’un
processus narratif, c’est la succession de notes et de rythmes qui créé le
truchement. Et en l’occurrence chez End, il y a un élément au dessus de tous
les autres qui est particulièrement mis en avant : la tension narrative.
En terme d’écriture,
la tension narrative c’est ce qui créé l’enjeu et rend la fin savoureuse. Ce
qui fait que l’on passe par différentes étapes émotionnelles avant d’arriver à
un moment clé de l’histoire pour le savourer pleinement. En l’occurrence ici, ça passe par une succession d’alternances
entre des riffs plutôt courts. C’est plus flagrant sur le premier titre parce
qu’il faut bien conditionner l’écoute. Une bonne partie de Covet Not aurait pu être
simplifiée pour gagner en clarté au niveau de la lecture, mais End a choisi de
ne pas laisser de longues phrases s’exprimer, les hachant par un changement rythmique,
ou une grosse cassure dans les fréquences. C’est l’un des procédés que l’on
utilise en musique pour faire monter la tension d’écoute, et qui rend aujourd’hui
la plupart des chansons de Heavy des années 80 chiantes comme la mort.
Gain d’intensité, césures, doublement de rythme, larsens,
notes suspensives, ajout de présence sonore, amorce puis cassure d’un riff, et
la liste est longue encore. On retrouve tous les éléments de construction de la
tension narrative sur Splinters from an Ever changing Face. Rajoutez un
chanteur très énervé et une pointe d’originalité artistique, et vous voila piégés
dans une cocotte minute qui va monter et monter en pression jusqu’à la
délivrance finale intitulée Sands of Sleep. C’est déjà la méthode qu’ils
avaient utilisé sur From the Unforgiving arms of God en encore plus réfléchie et
travaillée.
L’attente était longue, mais elle en valait vraiment la
peine. Splinters from an Ever changing Face est torturé, intense, violent et
brillant, pas l’album d’une génération, mais un sacré album du moment et que
dire d’autre si ce n’est vivement la suite !
A écouter : Pariah, fear for me now, Every Empty Vein, Sands of Sleep