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Biographie
Drudkh est né en 2002 des mains du frontman du groupe ukrainien Hate Forest. Oeuvrant dans un black metal ravageur et haineux avec son premier projet, Roman Saenko, a la volonté d’explorer la facette la plus douce et mélancolique de sa créativité. Chantant les louanges du nationalisme ukrainien et arien, comme bon nombre de groupes de l’Europe de l’Est, Drudkh est considéré comme un groupe aux idées grabataires, mais il est bon de considérer le contexte culturel de la nation, et de ne retenir que l’aspect artistique de l’œuvre lancée par Saenko.
Forgotten Legends, premier album du groupe, est enregistré rapidement après la formation du groupe, celui-ci étant uniquement un projet studio. Il offre un black metal atmosphérique et suicidaire, comparable à des ambiances que pourrait desservir un Burzum, mais avec une patte très slave, une volonté mélodique imparable et surtout une mélancolie incroyable. En 2004 sort Autumn Aurora, utilisant la même recette que son prédécesseur, avec toute fois bien plus de maturité et de jusqu’auboutisme dans les émotions et les mélodies. Considéré dès lors comme constituée de deux chefs d’œuvre, la discographie de Drudkh déçoit pourtant beaucoup de monde avec The Swan Road en 2005, tombant relativement dans la redite et préfigurant pourtant les changements que l’on retrouve sur Blood In Our Wells et l'album folk Songs Of Grief And Solitude en 2006, sortis après l’arrêt officiel des activités de Hate Forest. Avec une patte plus mélodique encore, des évolutions plus diversifiées qu’auparavant, sans perdre pour autant en cohésion, ce disque entérine le statut de la formation Ukrainienne dans les méandres de l’underground black metal. Les années suivantes, Drudkh continue ses travaux avec Estrangement en 2007 et Microcosmos en 2009, puis amorcent un tournant dans leur carrière en signant chez Season Of Mist pour la production d'Handful Of Stars en 2010 et de Eternal Turn Of The Wheel en 2012. On ne peut plus actif les Ukrainiens reviennent en 2015, toujours chez Season of Mist avec un nouvel opus, le bien nommé A Furrow Cut Short (Борозна Oбірвалася).
Toujours adepte de la « communication zéro », et ce en dépit d’une signature chez Season of Mist l’un des plus gros label / distributeur Metal existant (joli paradoxe), Drudkh est ce que l’on peut appeler un groupe hyperactif. Les Ukrainiens nous abreuvent d’une sortie sous forme d’album, EP ou split presque tous les ans. La réussite souvent au rendez-vous, Drudkh passe parfois à côté de son sujet comme sur Songs of Grief And Solitude et The Swan Road, bien en deçà de ce qu’il est en mesure d’espérer d’eux. C’est avec une relative confiance mais aussi avec quelques réserves que l’on se lance dans l’écoute de A Furrow Cut Short (Борозна Oбірвалася en V.O).
Le dernier LP des hommes de l’Est, Eternal Turn of The Wheel, avait laissé une forte impression bien qu’étant un peu court. À peine 5 titres pour 35 minutes de Black Metal froid et aérien proche des hautes sphères du genre, mais il manquait ce petit plus qui fait qu’un album s’installe définitivement dans les mémoires. Sans changer radicalement sa formule Drudkh propose avec A Furrow Cut Short un opus plus long (60 minutes) dont le contenu oscille toujours entre brutales accélérations et passages nettement plus mélodiques. La formation de Roman Saenko a (enfin ?) trouvé la parfaite combinaison entre la violence et la mélancolie pour distiller durant les 7 titres de ce brûlot une musique empreinte d’émotions où les âmes tourmentées sont amenées à se perdre. Plus que jamais Drudkh maîtrise son Black Metal qui, pour l’occasion bénéficie d’une production haut de gamme mais sans être aseptisée. On sent toujours le côté raw et malsain, mais la balance est coordonnée à la perfection, elle offre une dimension plus intense aux compositions. On se délecte littéralement de Embers fait de riffs tantôt agressifs, tantôt mélodiques, accompagné de nappes de claviers discrètes mais ô combien géniales qui sublime un titre remarquable. Nous sommes également conquis par la paire Dishonour (I&II) qui sur sa première partie se veut violente, très rythmée, accrocheuse, avec des hurlements rageurs tandis que la seconde, elle, sera bien plus aérienne, plus down-tempo avec une batterie calme et des leads guitares inspirés transpirants de tristesses. Ces deux titres sont aussi merveilleux qu’éprouvants, l’écoute se révèle être un grand moment qu’il est cependant impossible de partager tant ceux-ci vous touchent dans votre fort intérieur. À la croisée des premiers Emperor pour le côté symphonique et d’un vieux Darkthrone sur son aspect « sale » To The Epoch of Unbowed Poets est l’une des pièces maîtresses d’une oeuvre qui marque les esprits, la basse vrombissante est absolument géniale et que dire de ce pont sur la fin du morceau, si ce n’est qu’il parachève une démonstration de 9 minutes qui montre que la formation est au sommet de son art. Aussi fou que cela puisse paraître, et pas seulement pour le profane, Drudkh dégage une certaine forme de romantisme dans sa musique, un romantisme noir certes, mais une réelle beauté émane de cet album.
Si parfois la longueur d’un titre peut être son frein en installant une redondance qui finit par lasser, Drudkh, avec tout sa classe évite ce piège non seulement en variant ses compositions mais aussi en insufflant à chacune d’entre elles énormément de virtuosité permettant à l’auditeur une immersion totale dans un milieu à la fois hostile et salvateur.
Totalement inspiré et ne souffrant d’aucun défaut majeur A Furrow Cut Short consacre une formation à part, qui n’éblouit que par sa musique. Drudkh entre un peu plus dans la légende du Black Metal avec l’album que beaucoup attendaient pour définitivement leur coller cette fameuse étiquette de « groupe culte ».
Ce Handful of Stars marque la signature
des Ukrainiens de Drudkh chez le gros label qu'est Season of Mist. Un
certain changement de style et une production plus soignée et plus
propre sont à prévoir, le groupe ayant jusqu'à présent défendu
une vision assez extrémiste de leur musique (du style « No
concerts, no photos, no Interviews » ) Drudkh reste sans
conteste l'un des groupes les plus intéressants de la scène Black
actuelle. Microcosmos, étant sorti à peine deux ans plus tôt
présentait un groupe en perte de souffle. Autant dire que ce nouvel
effort était attendu de pied ferme : vrai renouveau ou gros pétard
mouillé ?
Alors oui, il y a toujours de fort belles choses chez Drudkh. La première est le talent incroyable de
composition et de mélodie dont font preuve les ukrainiens. Les
guitares faites de riffs et de lignes tantôt aériennes et
mélodiques, tantôt lancinantes ou brutales, se croisent, se
suivent, s'entrechoquent, se séparent et se recoupent : Downfall of
the Epoch, la deuxième piste, en est le meilleur exemple. Le son des
guitares - comme prévu – beaucoup plus doux, moins amer que
par le passé, est fait d'arpèges, de lignes superposées,
de décrochages, d'harmonies, dans un style que ne renierait pas un
Agalloch ou un Solstafir. Parfois d'un groove et d'une sensibilité Rock voire Post-Rock, d'autres plus brutales. En outre, quasiment plus de solos atypiques comme le groupe pouvait en produire sur Blood in our Wells. Eh oui, les musiciens de Drudkh sont
définitivement plus que doués. C'est peut-être encore plus
flagrant chez le batteur, saisissant de finesse, de virtuosité, de
groove (ce break sur Towards the Light !) et de modernité. La
production, sans être dantesque, est à la fois douce, caressante et aérienne, et met bien en valeur tous les instruments de la gratte à la basse en passant par le charleston. (si si !) Ensuite, le propos général semble
plus aérien, plus lumineux, plus digne. En témoigne la pochette du
CD, dans un ton plus chaleureux. Cette sorte de sorcière céleste
gardant une étoile entre ses mains, confère une ambiance
complètement lunaire à l'album. Les thèmes folkloriques comme sur
un Blood in our Wells sont plutôt mis de côté, avec peu/pas de
guitares acoustiques et d'instruments traditionnels ukrainiens,
permettant, peut-être de toucher plus de monde à l'extérieur des
frontières de l'underground européen. (Difficile à croire pour un
groupe de cette trempe !)
Mais la dithyrambie s'arrête là, car
cet album ne possède pas que des qualités. D'abord, ici le groupe
s'en est cantonné à un schéma classique en 6 pistes « Intro
– 4 pistes - Outro », avec des morceaux tournant autour de 10
minutes. En conséquence de la durée relativement courte de l'album,
on sent que Drudkh n'a pas le droit à l'erreur sur les 4 pistes
qu'il propose. Et, le génial (Downfall of the Epoch, Towards the
Light) côtoie malheureusement le passable. (Twilight
Aureole) Drudkh aurait pu prendre plus de temps peut-être,
pour développer ses compositions et proposer quelque chose de plus
conséquent et osé car l'on en fait assez rapidement le tour. Même
constat pour le chant : personnellement, je pense que la voix
désincarnée et brutale de Thurios n'a jamais convenu au style de
Drudkh, mais ici c'est encore plus flagrant ; et compte-tenu de
l'atmosphère dégagée et du virage Rock pris par le groupe, un
chant clair aurait été bienvenue par exemple. Bref, il manque le
petit plus dont est largement capable le groupe pour faire d'une
musique et d'un album bon et carré, une oeuvre excellente. Mais le
bilan reste largement positif, ce Handful of Stars est l'un des
opus metal majeurs de l'année 2010.
A écouter : Downfall of the Epoch
Fort d’un retour fracassant avec Blood In Our Wells immédiatement suivi d’un Songs Of Grief And Solitude totalement folk et relativement anecdotique – ce n’est pas vraiment ce que l’on attend d’eux – et pour ainsi dire assez malheureux dans ses choix, Drudkh nous revient cette fois avec un Estrangement forcément attendu au tournant.
Drudkh est un groupe étrange, unique, capable du meilleur (Autumn Aurora, par exemple) comme du moins bon (The Swan Road), voire du médiocre (Songs Of Grief And Solitude); une formation déjà quasiment élevée au statut de culte malgré une inspiration variable qui, logiquement, pousse toujours à la curiosité à chacune de ses sorties. Cette fois encore, on sait à peu près où l’on va mais on ne sait guère sur quoi le chemin emprunté va réellement déboucher. Drudkh nous propose ici un album court (36 minutes) qui perpétue la tradition des titres étirés, schéma de prédilection du groupe depuis ses débuts, en alignant quatre compositions dont trois se placent juste au dessus de la barre des 10 minutes. Dès les premières mesures, la pate des ukrainiens est là, reconnaissable entre mille. Ce pagan mélodique et triste à forte dimension épique est Drudkh et rares sont les formations capables de rivaliser dans ce domaine (on citera tout de même Walknut ou encore Primordial, chacun dans leur créneau propre). Solitary endless path reprend plus ou moins les choses là où Blood In Our Wells les avait laissées, ce qui à première vue augure du meilleur malgré un risque inhérent de redite, voire de baisse de régime… Pourtant assez vite des changements minimes se font sentir et ce ne sont pas Skies at hour feet ou Where horizon ends qui viendront infléchir cette impression. En effet, le son toujours très rustique et froid du groupe semble revenir quelque peu sur ses pas avec une production plus proche des anciens efforts. Et la batterie se refait elle aussi la cerise: (judicieusement) plus en retrait sur un Blood In Our Wells aérien, la voici de nouveau prête à en découdre. Aussi ne manque-t-elle pas de se faire remarquer des les premiers instants du titre d’ouverture qui, plus de quatre minutes durant, contrebraque finalement d’une manière assez flagrante par rapport à des morceaux tels que Furrows of god. Serait-ce donc là un retour aux sources? Il restera en trompe l’œil alors… car comme dit précédemment, Drudkh reprend ses tristes rêveries automnales là où il les avait laissées un an auparavant dans le froid humide de la lointaine Ukraine qu’il se plait à nous conter au travers d’envolées toujours plus aérées. La grisaille du rejeton de Hate Forest nous tombe une nouvelle fois dessus tous riffs mélancoliques dehors, menée par ce lead typique fendant la brume, chargé de mélodie et d’exotisme slave avant de se renfoncer dans l’ombre (Skies at hour feet). Une fois ses trois morceaux de bravoure accomplis dans la douleur, Drudkh nous sort doucement de son univers clair obscur où tristesse et beauté ne sont jamais bien éloignées. Quatre minutes et un solo déchirant plus tard, le groupe nous a déjà fait ses adieux et nous nous retournons dans notre monde, emportant un peu de leur mélancolie. Only the wind reemembers… Nous aussi, encore une fois.
Estrangement se veut plus tendu, plus remuant que BIOW et au croisement des albums l’ayant précédé. Du changement donc, oui, mais pas d’évolution. Un album presque commun pour le groupe s’il n’avait cette âme qui, même lorsque l’inspiration flanche légèrement, lui insuffle la force de continuer et de maintenir le cap. Drudkh fait finalement du Drudkh et encore une fois la magie opère. Une nouvelle réussite à mettre à l’actif des ukrainiens – attention cependant à ne pas se laisser enfermer dans la répétition - malgré un sentiment de stagnation toujours légèrement frustrant lorsque l’on connaît les capacités dont ils ont déjà fait montre. Les amateurs s’y retrouveront surement, quant aux autres ils continueront encore d’être intrigués par ce groupe à l’image de son talent: quelque peu fugace et profondément insaisissable.
A écouter : Dans un moment de solitude.
Avec The Swan Road, on avait laissé Drudkh affaibli, certainement dans sa plus petite forme depuis ses débuts. Sorte d’album de transition, celui-ci nous avait clairement laissé sur notre faim, d’autant plus qu’il n’eut pas fallu mieux que l’annonce du split de Hate Forest (autre projet de Saenko) pour penser que le bonhomme était peut-être sur le déclin. Que nenni, l’orgueil d’un nationaliste a, semble-t-il, une ténacité sans pareille, mais ce qui fait la qualité de ce nouvel effort du projet Ukrainien vient beaucoup plus certainement de la fibre artistique de son géniteur, qui nous en ferait largement oublier ses idées douteuses.
Dès les premières notes de Nav’, on retrouve cette ambiance pagane, faite de chants traditionnels et d’instruments du folklore ukrainien. Drudkh ouvre les portes de son monde, un monde triste et beau, où l’espoir ne réside plus que dans la communion de tout un peuple autours de ses origines. Furrows Of God nous plonge de plein pied dans cet univers et l’on retrouve avec plaisir cette guitare à la douce saturation qui nous épand une énergie dissimulée à travers des complaintes poussives et incroyablement sombres. Dès ce premier titre, et tout au long de Blood In Our Wells, on découvre un Drudkh aux mélodies encore plus fines qu'auparavant, plus entêtantes, mieux mises en valeur, et certaines nous prennent au tripes comme jamais Saenko n’avait su le faire avec son projet. C’est bien là l’énorme force de caractère de ce nouveau disque de l’Ukrainien qui donne là une nouvelle dimension mélodique à sa musique, utilisant bon nombre de techniques possibles à la guitare : arpèges, accords, harmoniques, incorporées aux titres par de gracieuses progressions passant par des soli plus heavy et recherchés que jamais, et ses éternels interludes folks acoustiques, ou ambiants (faits de nappes de guitares superposées). Blood In Our Wells lance une envolée unique, légère et froide aux confins de la lointaine et sauvage Ukraine, souvent mid-tempo et douce, mais parfois plus harassantes au gré de changements d’allures le plus souvent bien pensés. Dans ces passades plus virulentes, Saenko durcit son chant guttural, le charge de mauvaises émotions, et la batterie, d’ordinaire si légère se fait plus présente et volumineuse, emmenant une pulsation sur un charleston des plus crunchy. Avec des évolutions de reliefs aussi inattendues que dépaysantes, les titres de Blood In Our Wells immergent totalement dans cet océan d’amertume mélodique, de solitude éternelle, dévoilant une facette du black metal unique malgré une patte très caractéristique des groupes d’Europe de l’Est.
Bête aux nombreux visages, la petite sœur de Hate Forest prend le relais à la tête d’une œuvre lancée par un personnage décidemment très adroit, et ce nouvel album en montre l’ambition. On se dit pour finir que Drudkh, entité la plus mélancolique de la scène black metal, a amplifié sa souffrance avec la mort de sa moitié et que tout ceci n’est pas un mal pour Blood In Our Wells qui en devient une perle rare, offrant une grosse évolution en rapport aux premiers chefs d’œuvre du groupe, et lui donnant une saveur plus succulente encore, tout en conservant son identité déjà indivisible. Blood In Our Wells est l’un de ces disques de black à la magie rare, et il serait dommage de s’en priver, si vous êtes un mélomane averti.
A écouter : absolument tout.
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