Il arrive que des groupes surgissent sur le devant de la scène avec un premier album bourré de qualités musicales. Disillusion l'a fait avec Back To Times Of Splendor. Il arrive aussi que des groupes changent radicalement de direction avec leur album suivant. Disillusion vient de le faire avec Gloria. Cet album est tellement différent du premier qu'il en devient difficile à appréhender. D'autant que les allemands ont sacrément chargé la barque, cet album transgenre est une explosion de couleurs musicales, de textures sonores complexes et de choix artistiques audacieux.
Au premier abord, Gloria est donc déroutant. Chant souvent retouché tout droit sorti de la scène goth' rock, rythmes bondissants par endroits (usage extensif de la boîte à rythme), samples et boucles diverses, choeurs puissants, poussées de metal dévastatrices, structures alambiquées, passages indus, electro-pop, rock, la somme des couches sonores diverses et variées accumulées est très dense. On se prend à regretter l'immédiateté du précédent album, aux confluents du prog' et du metal extrême, son chant superbe et vierge de tout effet et la technique remarquable des musiciens. Si bien qu'au bout des 11 pistes, on est d'abord écrasé, paumé, déçu même. Qu'est-ce donc que cette mélasse indigeste et racoleuse se dit-on, ce chant synthétique à l'extrême limite du bon goût, cette furia décomplexée presque boursouflée. Et pourtant, après plusieurs écoutes, c'est la richesse musicale, l'audace, le jusqu'au boutisme et le travail sur le son qui l'emportent. Gloria est indéniablement l'un des disques les plus novateurs sortis cette année, et en même temps sûrement un de ceux qui en décevra le plus, notamment ceux conquis par la maestria de Back To Times Of Splendor.
La trame principale pourrait être qualifiée de métal électro, avec une puissance sonore remarquable rehaussée par la production léchée. Celle ci fait ainsi la part belle aux nombreux motifs musicaux que renferme Gloria. Les origines extrêmes de Disillusion ne sont pas totalement oubliées, par exemple à travers l'intro quasi black de Avalanche, ou plus généralement par la multiplication des riffs acérés tout au long de l'album. Mais à l'évidence, la démarche est autre ici, pleine de nuances, d'entrelacs mélodiques formant un amalgame impressionnant. Dès l'ouverture, The Black Sea, on entre dans le vif du sujet, cordes d'épouvante, boîte à rythme popisante, déferlement de guitares surpuissantes, samples électro, chant bardé d'effets, choeurs épiques, ce morceau est étourdissant. Et que dire des explosions flamboyantes de Dread It, véritable tempête épique sur le refrain, ou de la conviction quasi martiale de Don't Go Any Further, single au chant parlé et au refrain martelé. Vurtox finit par convaincre par ses intonations gravement théâtrales, sensuelles, emphatiques ou furieuses qui traversent des compositions très dynamiques comme Save The Past. Quant à la démarche du groupe, elle rappele celle du Manes de l'aventureux album Vilosophe, prenant tout le monde à contre-pied après un premier opus de black lugubre, ou encore le besoin d'expérimentations de Arcturus voire Solefald.
Il faut écouter au moins une fois le formidable morceau Gloria, riche de choeurs célestes et de guitares puissantes bâtissant un mur du son compact par instants, voire même bruitiste, Vurtox posant une voix tantôt synthétique, tantôt aérienne en soutien. Ce maelström musical et émotionnel fout le frisson, manifeste d'un disque unique en son genre où tout semble possible. De nappes d'ambiances spectrales et des arrangements plus typiquement metal, quasi black, avec des riffs en cisaille, du growl et des blasts, The Hole We Are In passe à des rythmes électro-pop, parfaitement intégrés à l'ensemble, tout simplement bluffant. Et que dire du chant, étonnant, qui rappelle éventuellement ici Serj Tankian de System Of A Down. Le groupe frôle même par instants le post-rock le temps du morceau Lava, par ailleurs complètement saturé. Limpide, Too Many Broken Cease Fires est un morceau accrocheur, guitares métal et violons classiques entremêlés, porté par le chant clair superbe de Vurtox. La conclusion Untiefen, est quant à elle encore une réussite, minimaliste et intimiste, avec clapotis d'eau, orchestration délicate, chant toujours aussi théâtral.
Disillusion vient de sortir un disque qui transpire par tous les pores la liberté de ton. Gloria est un feu d'artifices sonore, une sorte de grande messe théâtrale, grandiose et magistrale sûrement pas du goût de tous, mais qui appelle justement aux réactions tranchées. L'oeuvre de musiciens pleins de panache et assez fous pour ne pas capitaliser sur le succès indéniable de leur premier album. Cet album incarne ainsi une prise de risque maximale, ça passera pour certains, et ça cassera pour d'autres. Rien que pour ça, respect.
Dont go any further (plus le clip), The Black Sea et Gloria en écoute sur le myspace de Disillusion.
A écouter : The Black Sea, Dread It, Gloria, The Hole We Are In, Too Many Broken Cease Fires