Même si l'emploi de superlatifs s'avère assez délicat dans le domaine artistique, notre esprit est assez friand de ce type d'évaluation, à l'image de celles qui parsèment le bouquin de Nick Hornby, High Fidelity. Ainsi, dans le domaine musical, la sortie de Reign in Blood de Slayer en 1986, marquait une étape dans la brutalité sonique à tel point que certains n'hésitaient pas à y voir l'album le plus violent de l'Histoire du Rock. Au risque d'en faire hurler plus d'un, c'était oublier Hear Nothing See Nothing Say Nothing du groupe anglais Discharge.
Il aura fallu plus de cinq années à ce dernier pour enregistrer son premier album. Cinq années assorties d'une forte dose d'huile de coude mais également du mécénat de Mike Stone qui permet au groupe de s'extraire définitivement de sa cave de Stoke-On-Trent.
Sur le plan musical, Hear Nothing See Nothing Say Nothing fait montre d'un net progrès en regard de la période bricolage qui a précédé, Discharge égrenant jusqu'alors son répertoire dans des 7 pouces de qualité inégale. Désormais le groupe peaufine son style et si quelques résidus punks et influences de type Motörhead étaient encore perceptibles sur Why, ceux-ci ont totalement disparu, laissant la place à un hardcore radical, minimaliste, puissant et rapide à la tonalité générale sombre et désespérée qui sera à l'origine de nombreuses vocations (Neurosis, Napalm Death, Godflesh...)
Le son y est énorme, violent. Les morceaux sont exécutés selon des structures sommaires (couplet/refrain x 2 ou par 3) dont l'efficacité est largement tributaire de Bones mais surtout de la basse hyper saturée de Rainy dont les ravages se font notamment sentir sur "The End" et "Hear Nothing See Nothing Say Nothing". Courts, sans aucune variation, ils sont construits autour de trois/quatre accords maxi prenant appui sur un rythme identique du début à la fin afin d'éviter le plus possible les fioritures et de conserver le même dynamisme. Seuls quelques soli viennent perturber ce rythme d'enfer ("Drunk With Power", "The Final Blood Bath").
Le minimalisme se poursuit également au niveau du chant de Cal. Désormais la voix se fait plus dure, beaucoup moins hésitante, et les parties vocales prennent l'allure de slogans politiques ("Free Speech for the Dumb"). Rien d'étonnant à celà, la majorité des textes, en plus d'être très courts - à peine trois ou quatre phrases ce qui augmente leur caractère revendicatif - illustrent un profond rejet de la société anglaise ("I Won't Subscribe", "Protest And Survive") et décrivent une vision apocalyptique du futur ("Hell on Earth", "The Blood Runs Red", "Cries of Help").
Hear Nothing See Nothing Say Nothing est l'album d'un groupe à l'apogée de son art, ce qui peut apparaître assez paradoxal étant donné qu'il s'agit d'une première oeuvre. En effet, la suite s'avèrera beaucoup moins glorieuse. Miné par les changements de line up, Discharge tentera en vain d'entretenir la flamme en sortant des albums qui ne dépasseront pas le stade anecdotique. Qu'importe, avec ce skeud, le combo de Stoke-On-Trent aura définitivement marqué son époque et, n'en déplaise aux irréductibles de 1977, jamais groupe n'aura aussi bien incarné le concept du No Future.
A écouter : "The Possibilities of Life's Destruction", "Hear Nothing See Nothing Say Nothing", "Protest & Survive"