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Biographie
De Chicago, où le quatuor s'est formé quelque part au milieu des années 2000, Disappears a tiré son mélange brut qui l'entraine aux frontières du krautrock, du rock 90's et du rock psychédélique. Un mélange qui voit le combo partager, en moins de deux ans, l'affiche des mastodontes que sont Tortoise, Deerhunter, Times New Viking ou encore The Jesus Lizard avec lesquels ils ont partagé la même écurie hétéroclite, le défunt label Touch and Go.
C'est finalement chez Kranky que Disappears sortira son premier album, Lux, en 2010 puis son successeur Guider, l'année suivante. A la suite du départ de son batteur, le groupe recrute Steve Shelley, désormais libre de ses mouvements hors Sonic Youth, d'abord pour une tournée, puis, officiellement, en studio lors des sessions d'enregistrement de Pre Language. Une façon de concrétiser l'admiration que l'on sent pointer dans chacun des riffs pour l'ex-bande de Thurston Moore.
Autant prévenir, les amateurs de sensations fortes et les collectionneurs de riffs pourront passer leur chemin. Irreal n'aspire plus à aucun brio mélodique, ne promet aucun twist guitaristique. Dans la logique d'Era, qui avait déjà fait forte sensation, Disappears continue son lent glissement jusqu'à l'asphyxie.
No Future Irreal respire la désolation ; il y règne une atmosphère surréaliste, un mélange d'attentes déçues et de résignation. Au travers d'un constat désabusé et effrayant sur notre avenir, Disappears joue le no future. Une esthétique post-punk (pensez The Pop Group, ou les passages les plus expérimentaux de Wire) que cultive ardemment le groupe de Chicago depuis longtemps, ici exacerbée dans l'absence revendiquée de ligne directrice mélodique ou dans les monotones marmonnements de Brian Case, jets de mots inutiles, décomposés ("Another Thought"). Les saillies, guitare ou chant, sont rares et ne durent jamais longtemps ; le marasme ambiant finit par les recouvrir ("Irreal").
Bad trip Perdu dans un psychédélisme noir, Disappears cloue la répétition comme seul mot d'ordre. La rythmique est sèche, martiale, presque industrielle. Elle offre l'unique point de repère derrière les errances instrumentales confuses et polyphoniques de "Mist Rites". Dire qu'Irreal est d'un abord difficile est un euphémisme. C'est un disque sec, impersonnel, on dirait "dé-personnalisé", et sans aucun doute la sortie la moins accessible du groupe. Les indices éparpillés çà et là laissent penser que cela n'ira pas en s'arrangeant par la suite même si, comme le scande Case sur "Interpretation" : "Anything Can Happen". Avec ses longues pistes tortueuses, et un refus évident du format radio (qui avait pourtant si bien réussi à Disappears sur Pre-Language), Irreal s'écoute comme un bad trip.
Il ne s'y passe rien, diront les mauvaises langues ; en fait, Irreal est un album à la Kranky, expérimental, aride et complexe tant dans sa réalisation comme dans son appréciation. Disappears embrasse un côté obscur qui pourra s'avérer revêche aux premières écoutes. "Navigating The Void" clôt le disque, qui pousse l'abstraction un cran plus loin avec ses nappes de guitares éthérées. Une manière de signifier que si vous les cherchez, Disappears a déjà disparu.
Déserté depuis quelques mois, l'Echo Canyon West Studio a dû, l'espace de quelques jours, sentir revivre la poussière lorsque Disappears y a posé ses bagages pour enregistrer ce Pre Language. Le tour du propriétaire ne fut pas long; on a soufflé la poussière et dépoussiéré les toiles d'araignée. A peine a-t-on pensé à aérer l'atmosphère nostalgique pregnante, celle des chemises et des cheveux trop longs, trop sales. Celle, aussi, des guitares Jazzmasters et des Mustangs que l'on néglige et martyrise à souhait.
Aux Chicagoans, tout cela s'est imposé comme une évidence. En pleine montée en puissance, ils ont signé coup sur coup deux disques aux effets savamment orchestrés, comme des vétérans de la scène. On a encore en tête l'hypnotique "Revisiting", qui clôture le précédent album, Guider : 15 minutes en transe, nourries de réverbération, de rythmique motorique et d'incantations diluées. Un coup d'éclat qui signait l'arrivée de Disappears dans la cour des grands, à l'instant même où le groupe donnait ses premiers concerts avec Steve Shelley (désormais ex-Sonic Youth, ça fait mal de le dire encore quelques mois après) à la batterie. Parlez-moi de crédibilité. On sait maintenant qui leur a filé les clés du studio.
Sur ces entrefaits, Pre Language reprend à peu près là où on ne l'attendait pas. Ou un peu, car on s'en doutait quand même. La caisse claire claquante de "Replicate" annonce la couleur. Le son s'est affermi, les guitares sont prêtes à rugir, les envolées sont maîtrisées; et en back up, les bombardements toujours bien sentis de Shelley. Disappears fait rêver en technicolor, quitte d'ailleurs à parfois trop se rappeler au bon souvenir des New-Yorkais. Entre ses interludes mélodiques, son refrain salement distordu et son outro au rythme déglingué, il ne manque à "Hibernation Sickness" que la voix de Kim Gordon pour s'y voir. Un effet 3D rendu possible par une production "live" impeccable (signée John Congleton - The Paper Chase et maître d'oeuvre d'une ribambelle de productions*), qui joue pour beaucoup dans l'aspect instantanément addictif de ce disque.
Là où ses prédécesseurs jouaient sur l'aspect répétitif des couches d'effets pour séduire, Pre Language préfère l'immédiateté et la puissance des mélodies. Révélatrice synthèse, son morceau-titre : couplet scandé à la ritournelle rodée, refrain éclatant et pont bruitiste en roue libre. Un enchevêtrement tortueux de mesures efficaces, écrites dans l'urgence et de riffs cassés, joués avec la dernière corde encore tendue sur le bois, regard rivé sur le sol, pédale d'effets enclenchée à fond, sans aucune retenue, jusqu'à faire tout disparaître autour de soi ("Fear of Darkness"). Ce qui n'exclut pas de délicieux moments d'oublis - la bien nommée "Love Drug", et sa construction en suspension du haut de ses 5 minutes, et "Joa", deux délicieuses broderies hypnotiques emmenées par un couple basse/batterie réglé au métronome.
Concis, dense et particulièrement homogène, Pre Language possède suffisamment de personnalité pour éviter de sonner comme un énième revival vain des 90's. Hasard du calendrier, on pensera évidemment à la coïncidence heureuse qui a vu se succéder en quelques semaines ce disque et celui de Cloud Nothings, Attack on Memory, produit par un autre papy, Steve Albini. Les jeunes ont encore beaucoup de choses à dire et ont bien fait d'écouter en boucle leurs aînés. Ils ont su en retranscrire l'esprit en toute indépendance avec une bonne dose de savoir-faire. Papa peut être fier.
A écouter : Clairement
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