Comment parler de Decapitated sans évoquer le tragique
accident de tourbus survenu en 2007 entraînant la mort du jeune Vitek (23 ans),
frère de Vogg, respectivement batteur et gratteux au sein de la formation polonaise ?
Un accident qui ramène brutalement à la réalité le groupe en pleine tournée, et
surtout en pleine ascension. Quatre années se sont écoulées, beaucoup de messages de
soutien du monde entier ont été adressés au groupe et à Vogg en particulier. Celui-ci
n’a d’ailleurs jamais annoncé son envie de mettre un terme à l’aventure Decapitated.
Et là, miracle, un nouvel album est annoncé. Carnival Is Forever. Comme pour nous rappeler que la vie n’est et ne sera qu’à jamais une
vaste blague. Une blague pleine d’ironie, d’humour noir, comme le groupe a pu
en faire les frais en 2007 alors que les deatheux profitaient de leur succès
grandissant. La pochette nous le confirme d’ailleurs : pas d’artwork gore
cette fois-ci, mais une palette froide et quelque peu glauque représentant une
fillette dans un champs portant un masque de biche, sa silhouette se découpant
sur le ciel gris acier derrière elle. L’ombre de Vitek plane sur cet album, d’une part car de l’aveu de Vogg même, Carnival Is Forever lui est dédié, et d’autre part car la quasi-totalité des
titres ont été composés par les deux frangins avant le décès du cadet. Etant le seul membre ayant tenu à rester dans le groupe, Vogg a du s’entourer
d’un nouveau line-up qui devait assurer autant que le précédent. On présente
donc rapidement Rafal Piotrowski au chant, Filip « Heinrich » Halucha
à la basse et Kerim « Krimh » Lechner derrière les fûts. Facile d’imaginer
le poids de la tâche que les nouveaux venus viennent de se voir confier.
Question musique (car c’est bien le but premier d’une
chronique, j’ai tendance à l’oublier), on peut affirmer sans rougir que Decapitated est de retour. Si on reste toutefois loin d’un Nihility ou d’un Winds Of Creation, on pourrait tout de même parler de Carnival Is Forever en tant que
suite logique de Organic Hallucinosis. L’album agit en effet dès la première
écoute, et il nous tarde de nous écouter en boucle The Knife, United, l’intro ultra-précise de Homo Sum ou encore le
riff bouncant de 404.
Au rayon nouveautés, on note évidemment la guitare clean, qui s’invite sur la
piste éponyme Carnival Is Forever, A View From A Hole, et la triste instrumentale
Silence. Sans pour autant faire basculer Decapitated dans un quelconque délire
progressif, ces passages permettent au groupe de faire respirer l’album et de temporiser
quelques secondes avant d’envoyer la sauce comme il faut. Quelques samples
discrets ont également été disséminés à travers le skeud, et donnent du punch
bien senti à certains breaks (The Knife, Carnival Is Forever).
Comme à l’accoutumée, il vous faudra plusieurs écoutes attentives pour
assimiler les subtilités rythmiques et riffiques (oui, j’invente des mots, t’as
qu’à écrire des chroniques si t’es pas content !) de chaque piste. Les
breaks et les solos nous assaillissent sans prévenir (The Knife, Carnival Is
Forever, Pest), tous les musiciens semblent se donner corps et âme pour donner
à cet album un aspect tragique outre l’aspect brutal et débridé typique de la
formation, et le brailleur Piotrowski nous délivre un chant rauque proche de celui
de son prédécesseur, mais en maîtrisant mieux les variations d’intonations
(chants death criards / profonds / hurlés etc). Les morceaux de bravoure ne
manquent pas, on pense au superbe break / solo de United, qui laisse entendre la
double pédale de Krimh et la basse de Halucha tourner à fond les ballons
pendant que Vogg se fend d’un solo épique. Sur la piste Carnival Is Forever
encore, ce dernier nous laisse également profiter du son tranchant de sa guitare
après une intro sombre et tumultueuse.
Toutes les pistes ayant une « personnalité » très marquée, comprendre
des riffs assassins qui se retiennent facilement et des éléments qui sautent
aux yeux et se gardent en mémoire, vous n’aurez aucun mal à vous enfiler les
quarante minutes de Carnival Is Forever, d’autant que la prod résolument plus
moderne (qui ne plaira pas à tout le monde, donc) vous aidera à ré-appuyer sur
« Play » une fois de plus.
Beaucoup d’inventivité et d’inspiration donc pour un groupe
qui renaît de ses cendres sous une forme toujours brutale, mais qui a tout de
même évolué. On aurait pu craindre que la mort d’un des membres n’adoucisse
leur musique, il n’en est heureusement rien. Qu’on se le dise, Decapitated est
de nouveau debout, et même sans tête, il compte bien faire des ravages dans les
rangs des fosses de concert.
A écouter : The Knife, United, Carnival Is Forever, 404