J'ai découvert Ordinary Corrupt Human Love sous une trentaine de degrés, par un soleil éclatant qui dardait du matin au soir. Rien ni personne n'échappait à ses intraitables rayons, venus charrier les yeux et réchauffer la peau. Je crois que je n'aurais pas pu rêver mieux.
Cet album aurait pu se nommer Sunbather 2. Il n'en est pas la redite mais le prolongement, et pourquoi pas l'inverse dans une certaine mesure. La jaquette rose d'il y a 5 ans dissimulait un album Post Black teinté d'Emo et de Post Rock. On serait tenté de dire que ce dernier disque a choisi le contre-pied, reléguant le tremolo picking au rang d’outil venu servir des riffs éloignés du spectre Metal. Sunbather illustrait bien sûr cette tendance, mais il n’était pas allé jusqu’à flirter de si près avec des thèmes rappelant par exemple Tiny Moving Parts ou Modern Baseball (Canary Yellow). Non contentes de distiller des nappes hautes en couleur, les grattes de Kerry McCoy et Shiv Mehra prennent désormais une importance nouvelle dans les arrangements, transitions ou solos. Et pourquoi donc ? Elles sont plus Rock, le mot est lâché. Impossible d’en douter sur le final de Canary Yellow, de Glint ou encore sur l’envolée incroyable de Worthless Animal qui laissent entrevoir du groove, des racines quasi-Bluesy et des bends Hard Rock.
Sans oublier ces lignes de chants clair plus présentes que jamais, comme des chœurs masculins concluant Canary Yellow (quel titre décidément), un duo de George avec Chelsea Wolfe (ceci dit loin d’être inoubliable voire malheureusement sous-exploité vue l'invitée). Les Américains savent s’éparpiller sans se perdre et sont allés piocher de bonnes idées encore plus loin que jusqu’alors.
Ces nouveaux horizons pourront en dérouter quelques uns, mais on sent que l'ADN des gars de San Francisco contenait depuis longtemps ces possibles incartades. Non Deafheaven n'est pas True Metal et ne s'est jamais revendiqué comme tel. Arty oui, hipsters admettons, mais surtout touche à tout, les musiciens osent s'ouvrir encore un peu plus sans en devenir putassiers. George hurle toujours autant dans son micro, la batterie n’hésite pas à faire rugir le vacarme, le groupe a simplement l’intensité en ligne de mire plutôt que l’agression.
Et comme à leur habitude, pas d'esbroufe. Les Californiens ne nous servent pas un patchwork mal dégrossi d’influences multiples, mais soignent leurs développements, affinent leurs transitions désormais plus naturelles et souvent inclues dans les morceaux. You Without End, intro de son état, prend sept bonnes minutes pour asseoir l’ambiance à renfort de piano et de spoken word. Et le pire, c’est que ça fonctionne. Les temps lents de Ordinary Corrupt Human Love ne sont pas générateurs d’impatience et contribuent totalement à l’atmosphère générale.
Les pièces plus étendues quant à elles nous transportent sans peine sur une dizaine de minutes, sans avoir le sentiment de perdre son temps. On en parlait plus tôt, les guitares ont pris du galon et on trouvera systématiquement sur Honey Comb, Canary Yellow, Glint et Worthless Animal un moment crucial, une rupture, un riff venu rebattre les cartes avec une poignée de notes placées au bon endroit, et sans obsolescence programmée pour trois écoutes.
Après quatre albums, chacun a minima très qualitatif, Deafheaven n’a pas encore sorti le pilotage automatique et prend des risques sur chaque sortie. Plus aventureux que New Bermuda, Ordinary Corrupt Human Love affirme haut et fort qu’il est l’oeuvre de cerveaux peu prévisibles et en ébullition. A peine sorti, on ne peut que déjà baver sur un cinquième disque prêt à nous emmener Dieu sait où. Prions, pour que le Soleil brûle encore ardemment et pour de longues années dans les cieux de Californie.
A écouter : 1
L'impression d'entendre la même chanson depuis Sunbather... à moin,s que mes oreilles déconnent.