Dead Can Dance
Heavenly

Dead Can Dance
Chronique
Tout part de là. Dead Can Dance est un puissant symbole, le point de départ de tout un pan, d’une forme de culture contemporaine inspirée de symboles anciens et profonds ayant traversé le temps. Pourtant, tout perdu qu’il est dans ce début des années 80, perdu dans l’explosion post-punk dans lequel il prend pied, ce premier album de Dead Can Dance, point de départ d’une carrière tout bonnement gigantesque dont l’influence est difficilement mesurable, est un monument. De la rencontre de deux êtres exceptionnels, qui ont en commun un idéal visionnaire de la musique, naît une entité solide, qui sera bientôt la figure de proue de toute une forme d’esthétisme propre à cette fin de XX° siècle. Lisa Gerrard, muse au cœur pur et Brendan Perry, musicien à l’aisance et la spontanéité rares forment une osmose parfaite, le genre d’osmose qui ne peut pas rester stérile.
En vérité, lorsque ce premier effort voit le jour, Dead Can Dance a déjà parcouru bien du chemin. A l’origine conduite uniquement par Brendan, la formation (constituée de ce dernier et de trois instrumentistes) basée à Melbourne peine à décoller, et c’est en 1980 que Lisa rencontre celui qui va devenir son absolue complémentarité artistique. Après quelques années de création sur l’île continent, se rendant bien compte que leurs compositions n’intéressent pas grand monde, nos deux personnages prennent la lourde décision d’aller se baser à Londres (d’où est originaire Perry), dont ils jugent la scène plus intéressante et ouverte que celle qu’ils fréquentent alors. Arrivé en Angleterre, Dead Can Dance est libre, au milieu d’un vivier culturel ouvert et foisonnant. Bientôt, et grâce à leurs premières prestations scéniques intéressantes, ils trouvent une confiance en un certain Ivo Watts-Russel, créateur du tout jeune label 4AD, qui deviendra avec le temps l’un des acteurs incontournables de la brèche que Dead Can Dance ouvrira.
Sur ce premier album, Dead Can Dance est déjà dans une logique de création absolue, en ouvrant par un mélange improbable et inattendu de rares portes vers l’âme. En cette année 1984, où la musique évolue dans de nombreuses directions créatrices et sombres, le duo nourrit des ambitions que de rares formations peuvent avoir approché, en se basant sur une démarche spirituelle. En s’appuyant sur un référentiel post-punk / cold-wave déjà rodé, à l’image de Fortune, fait de lignes de basse ronflantes, riffs de guitare tournoyants et envoûtants et voix glaciales (ici Perry), les compositions de DCD vont cependant bien au-delà. En introduisant une dimension ethnique à sa musique le groupe montre d’ores et déjà la voix qu’il empruntera jusqu’à sa mort. Et c’est bien en cela qu’au-delà du fait que ce premier disque soit une révolution majeure, il endosse également un statut bien à part au sein de la discographie du groupe, dans le sens où il subsiste comme étant le seul disque avec une schéma instrumental emprunté à la scène dont il vient. Autrement dit, Dead Can Dance utilise encore des guitares, une batterie et une basse avec une dimension très rock, ce qui ne sera plus jamais le cas par la suite.
Les dimensions inédites utilisées, qui seront donc la voie royale explorée par la suite, développent des influences très diverses puisant dans un référentiel de musiques du monde, et utilisant les nombreux instruments qui vont avec. Dès The Fatal Impact, on comprend cette logique, ce mélange glacial de rythmiques primitives, de mélodies sacrées et d’onirisme recherché. Tout au long de ce premier effort, Dead Can Dance développe une diversité de sonorités qui sera l’une de ses caractéristiques principales, en jouant sur les timbres, les rythmes, et ce toujours dans un souci de perfection esthétique. Les mélodies religieuses (Musica Ethernal), orientales (Carnival Of Light) ou que sais-je sont utilisées comme étant des fins en soi (pas dans un souci de mimétisme folklorique ou culturel s’entend), et se consacrent entièrement à la pureté, à des sonorités éthérées et toujours cristallines.
Pourtant, la véritable révolution engendrée par Dead Can Dance vient des parties vocales. Lisa et Brendan sont comme deux anges, deux créatures dont la voix est portée par le vent dans un état de grâce. Le timbre vibrant d’une nymphe rocailleuse s’allie dans une étrange magie à des instrumentales déjà riches, et joue à cache-cache avec celui de son comparse, triste à mourir, qui calme les folies d’une créature intrigante, esclave de la musique qu’elle porte sur ses épaules. En utilisant un registre lyrique quasi ecclésiastique, le groupe touche déjà sans contestes possibles à l’image gothique qu’on lui attribuera. En explorant des thèmes noirs, la culpabilité, la souffrance, la solitude, l’ambiance est parfaite de cohérence et d’intégrité, et incarne à elle seule un renouveau : le renouveau de la mélancolie, arrivé en plein essor post-punk, et qui en définira en partie les limites.
Dead Can Dance est né, tout comme le mouvement heavenly (même s’il n’a pas encore de nom), dont il est le précurseur avec les Cocteau Twins, et l’on ne soupçonne pas encore l’ampleur que ce petit monde va prendre. L’osmose entre Lisa Gerrard et Brendan Perry est encore jeune, mais déjà très mature, surtout au regard de la manière dont a vieilli ce premier disque. World music et rock music sont toutes deux bouleversées, fusionnées de telle sorte que chaque domaine puisse y gagner gros. La révolution gothique moderne est lancée, rien ne l’arrêtera, et Dead Can Dance en est l’une des mères incontournables.
Belle chro monsieur Lendrier! Je crois que t'as bien mis en évidence les 2 particularités les plus importantes de cet album : son statut d'initiateur et le fait qu'il soit à part dans la disco du groupe.
Pour ma part c'est probablement mon préféré après le live. Peut-être pour ce côté sombre, spectral absolument fascinant. Un peu à la manière du Garlands de Cocteau Twins la dimension mystique en plus.