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Biographie
Dead Can Dance est un monument, un groupe sacré, par sa musique, son statut reconnu unanimement. De son œuvre a découlé non seulement tout le courant de musiques du mondes à l’occidentale contemporain, notamment au cinéma, mais également, et cela nous intéressera plus en ces pages, tout l’esthétisme heavenly voice intimement lié à toutes la scène gothique. Alors que dans les années 80 le punk n’en finit plus de faire des vagues et de faire passer son énergie dans des courants de plus en plus nombreux, Dead Can Dance distille dès ses début le post-punk pour n’en conserver que le côté tribal et développe un côté ethnique dans sa musique, qui cherche avant tout la beauté.
Né d’une rencontre entre deux êtres étranges, Brendan Perry et Lisa Gerrard, et en quelques années amené au rang de mythe, le duo Dead Can Dance, formé en Australie mais anglais d’origine, enchaîne les disques. Les bases post-punk susnommées se fondront bien vite dans une musique heavenly pure dont la maîtrise de montre dès le troisième album du groupe, Within The Realm of A Dying Sun, qui pourrait bien être à lui tout seul la définition même de ce genre. Dès ce moment précis, DCD va aller fouiller dans les musiques du monde et de l’histoire, enchaînant plusieurs périodes, médiéval et religieux sur The Serpent’s Egg, plus baroque sur Aion, et enfin orientale sur la dernière partie de sa carrière.
Dès le début des années 90, Lisa Gerrard et Brendan Perry entament tous deux une carrière en solo en parallèle de Dead Can Dance, et tendront chacun à laisser plus de place à celles-ci. En 1998, la formation se sépare suite à des divergences de vues sur la manière de conduire le projet. En 2005, le duo décidera de se reformer pour une tournée d’adieu autour du monde.
Dead Can Dance est un groupe entouré d'un aura de mystique et de révérence, qui ne se limite d'ailleurs pas au microcosme goth, darkwave et genres assimilés. Non, les compositions de Lisa Gerrard et Brendan Perry sont tellement puissantes, et en même temps dépouillées, qu'elles ont quelque chose d'universel. Au cours de leur longue carrière, chaque album représente une mue. Des débuts post punk à la darkwave majestueuse, la musique médiévale ou encore tribale : le duo a su se jouer des genres avec une habilité déconcertante, se soldant toujours par un succès. Si les premiers LPs de Dead Can Dance sont systématiquement les plus cités par les fans et la critique, les offrandes plus récentes s'en retrouvent souvent éclipsées, et plus particulièrement Spiritchaser. A tort.
D'un côté, c'est compréhensible. Le virage vers la musique ethnique amorcé sur Into The Labyrinth, qui s'était de fait déjà manifesté dans leurs concerts, est poussé encore plus loin cette fois. Les profonds claviers d'antan sont encore présents mais à dose homéopathique, comme si Dead Can Dance n'arrivaient pas à empêcher leur ADN de se manifester. La place est laissée aux instruments et percussions du monde, pour un album qui a l'effet d'un exorcisme animiste.
Etrangement, les arrangements des compositions renouent avec le minimalisme du premier album, bien que celles-ci soient plus étirées. Heureusement d'ailleurs, car les pouvoirs de ce chasseur d'esprit ne seraient pas aussi puissants sur des formats courts. La répétition des rythmes et des mélopées se vit comme une transe qui élève l'auditeur. Spiritchaser est, comme souvent avec Dead Can Dance, un album homogène avec pour ainsi dire aucun déchet, même s'il y a clairement des morceaux qui se détachent du lot. On pensera notamment à l'envoûtant "Song of The Nile" et à "The Snake and The Moon" avec son rythme entêtant ponctué du chant chamanique de Brendan Perry.
Alors certes, la qualité des compositions n'est peut être pas aussi flamboyante et évidente à cerner que sur Within The Realm of a Dying Sun ou Spleen and Ideal. Mais la magie est bien là. On la trouve en grattant la surface de cet album, et elle opère sur le cerveau aussi sûrement qu'une drogue, écoute après écoute. Les voix de Lisa Gerrard et Brendan Perry n'ont rien perdu de leur superbe, et si Spiritchaser n'est pas aussi mélodique, épique, il n'en reste pas moins, comme n'importe quel album de Dead Can Dance, une expérience remarquable et apaisante. Avec le recul, on peut dire aujourd'hui que cet album est le testament du Dead Can Dance tribal, scellant une ultime collaboration avant la séparation du duo pour divergences artistiques, et une future résurrection.
Ces divergences se manifesteront d'ailleurs clairement dans les travaux solo des deux musiciens. Lisa Gerrard restera ancrée dans la continuité de Spiritchaser, notamment dans sa collaboration avec Pieter Bourke. Brendan Perry lui, fera une sorte de retour aux sources avec deux albums à mi-chemin entre néo-folk et darkwave. En tout cas, Spiritchaser reste aujourd'hui l'album le moins considéré du duo et c'est bien regrettable.
A écouter : Nierika, Indus, Song of The Nile, The Snake and The Moon, les concerts de la tournée...
Autant le dire tout de suite, Within the Realm Of A Dying Sun est la pièce maîtresse de la discographie de Dead Can Dance, le but déjà atteint d’un groupe visant la perfection à travers la pureté. Tout ce qui suivra ne fera jamais mieux, l’arbre perdant petit à petit l’élégance de ses fruits et de ses feuilles. A sa sortie pourtant, même si sa qualité n’est en aucun cas contestée, le groupe n’a pas le statut de mythe qu’il a aujourd’hui, et ce troisième album n’assoit pas encore définitivement sa réputation. Il faudra attendre la postérité artistique à Within The Realm of A Dying Sun pour que l’on se rende compte réellement de l’importance qu’il aura pu jouer.
Ici, l’alchimie est parfaite, on se retrouve captivé de bout en bout dans la brume humide et sensuelle dégagée des 40 minutes de cette pépite d’or. Si Spleen and Ideal avait encore un pied dans la décennie 80’s avec sa patte Cold-Wave, son successeur est lui hors du temps, sans références. Plus de batterie, plus de guitares, assez pour s’envoler et perdre pied dans un voyage dans le monde, les civilisations, le temps. Dead Can Dance crée un folklore, son folklore, celui d’un peuple aux cultes forts, à l’adoration profonde du spirituel, éploré par l’histoire. Ô Lisa, que ta voix est pure, que ton âme est blanche et éternelle. Le divin te dicte tes complaintes, te donne ta beauté et tu maîtrises bientôt ton art. Dead Can Dance est déjà sublime, lumineux et triste, sans accro, sans heurts. Ses mélodies mineures, savamment orchestrées, évoluent délicatement sur un matelas de plumes blanches et douces, de cordes suaves et de sonorités fermes. Perry introduit encore bien des nouveaux instruments, bidouille son synthétiseur jusqu’à obtenir des sons inédits et organiques, toujours à ces fins de créer la merveille, et sa voix n’est pas en reste, grave et douce, en parfait alter-ego qu’elle est à celle de Lisa Gerrard. D’un romantisme singulier, Within The Realm Of A Dying Sun bouillonne pourtant. Sa mélancolie est appuyée par des superpositions de voix, de nappes instrumentales, et elle est mise en exergue par des percussions qui déjà se tribalisent (Cantara), et derrière cette maîtrise se cache une grande puissance. Dead Can Dance sait contenir les ténèbres lorsque ceux-ci frappent à la porte, souffrant en silence, ne pleurant pas, restant digne et fier.
C’est cette alchimie, mêlée à cette maîtrise et cette forte personnalité qui font de ce troisième disque celui où Dead Can Dance a atteint la définition de son art, touche le parfait et va pouvoir commencer à y apporter des variations. Le duo est à l’aube de son explosion, intriguant déjà beaucoup la scène anglaise par sa démarche, et endossé par le jeune label 4AD, qui deviendra avec le temps la référence en matière de groupes Heavenly. Within The Realm Of A Dying Sun est une perfection, de celles qui vous touchent en plein cœur, et cette perfection sera la base de travail de Dead Can Dance, qui développera plus tard ses recherches sur les musiques du monde.
A écouter : absolument.
Avec son deuxième album, Dead Can Dance s’éloigne un peu plus des sonorités cold-wave qu’on lui connaît alors. Le succès déjà grandissant de la formation a permis à Brendan Perry de s’offrir un synthétiseur qui lui ouvre les portes de sonorités encore plus éparses et originales que précédemment. Les compositions de Spleen and Ideal en sont évidemment fortement marquées, et explorent à nouveau des schémas très allongés, orientés vers une douceur très agréable et spirituelle. Le groupe atteint du même coup une envergure musicale bien supérieure à ce qu’elle était sur son premier album, en touchant plus encore un registre mystique et s’éloignant de l’humanité que la musique a si souvent.
Si Spleen and Ideal est bien moins primitif et hypnotisant que son aîné, il entre incontestablement dans le domaine du sacré, en proposant des joyaux sublimés par une production profonde. En utilisant les possibilités de son nouvel instrument, Brendan permet donc d’atteindre ce résultat. Trompettes, timbales bourdonnantes, cloches profondes, nappes envoûtantes et pures, somme d’éléments justifient ici le côté world music que l’on accorde à Dead Can Dance. Et même si bon nombre de réminiscences cold-wave poussent ça et là (The Cardinal Sin, Mesmerism, Advent, Indoctrination), la créature élevée par Perry et Gerrard prend sur Spleen and Ideal la forme que l’on lui attribuera la plupart du temps, à tort d’ailleurs, tant le nombre de visage qu’elle aura par la suite est grand. Rarement auparavant dans les dérivés du rock la spiritualité transmise par la musique n’avait autant amené à la spiritualité de la vie. A cela, Lisa Gerrard n’est pas étrangère, puisque son chant prend une assurance et une maturité indéniable. Sa voix fragile et tressautante atteint des moments de grâce qui caractériseront ce qu’est la définition du heavenly. A plusieurs reprises d’ailleurs, celle-ci atteint des états où elle semble en transe (Mesmerism, Avatar), possédée par le message ésotérique qu’elle porte. Terrassante de beauté, elle peut enfin laisser libre court, toujours en alternance avec Brendan, aux thématiques Baudelairiennes (évidemment avec un titre pareil) ouvertement inspirées des Fleurs du Mal, ouvrage qui sera pour beaucoup une racine de la culture gothique moderne.
Après son premier album éponyme, Dead Can Dance évolue avec Spleen and Ideal vers un univers qui sera le sien pour les disques à venir, et lui sera à jamais associé. Et même si au final le côté Cold-Wave est toujours au rendez vous, il se révèle presque anecdotique lorsque l’on considère la place que peuvent prendre les sonorités du monde développées ici. La recherche d’esthétisme perfectionniste dont font preuve les deux têtes pensantes de la formation dénote avec ce qui est alors d’usage dans la scène post-punk, qui préfère se consacrer aux sentiments en eux-mêmes. Dead Can Dance va plus loin, en créant une musique sacrée, divine, qui provoque pour autant ces sentiments noirs d’une manière différente. C’est cela qui fait la richesse de Dead Can Dance.
A écouter : Certainement.
Tout part de là. Dead Can Dance est un puissant symbole, le point de départ de tout un pan, d’une forme de culture contemporaine inspirée de symboles anciens et profonds ayant traversé le temps. Pourtant, tout perdu qu’il est dans ce début des années 80, perdu dans l’explosion post-punk dans lequel il prend pied, ce premier album de Dead Can Dance, point de départ d’une carrière tout bonnement gigantesque dont l’influence est difficilement mesurable, est un monument. De la rencontre de deux êtres exceptionnels, qui ont en commun un idéal visionnaire de la musique, naît une entité solide, qui sera bientôt la figure de proue de toute une forme d’esthétisme propre à cette fin de XX° siècle. Lisa Gerrard, muse au cœur pur et Brendan Perry, musicien à l’aisance et la spontanéité rares forment une osmose parfaite, le genre d’osmose qui ne peut pas rester stérile.
En vérité, lorsque ce premier effort voit le jour, Dead Can Dance a déjà parcouru bien du chemin. A l’origine conduite uniquement par Brendan, la formation (constituée de ce dernier et de trois instrumentistes) basée à Melbourne peine à décoller, et c’est en 1980 que Lisa rencontre celui qui va devenir son absolue complémentarité artistique. Après quelques années de création sur l’île continent, se rendant bien compte que leurs compositions n’intéressent pas grand monde, nos deux personnages prennent la lourde décision d’aller se baser à Londres (d’où est originaire Perry), dont ils jugent la scène plus intéressante et ouverte que celle qu’ils fréquentent alors. Arrivé en Angleterre, Dead Can Dance est libre, au milieu d’un vivier culturel ouvert et foisonnant. Bientôt, et grâce à leurs premières prestations scéniques intéressantes, ils trouvent une confiance en un certain Ivo Watts-Russel, créateur du tout jeune label 4AD, qui deviendra avec le temps l’un des acteurs incontournables de la brèche que Dead Can Dance ouvrira. Sur ce premier album, Dead Can Dance est déjà dans une logique de création absolue, en ouvrant par un mélange improbable et inattendu de rares portes vers l’âme. En cette année 1984, où la musique évolue dans de nombreuses directions créatrices et sombres, le duo nourrit des ambitions que de rares formations peuvent avoir approché, en se basant sur une démarche spirituelle. En s’appuyant sur un référentiel post-punk / cold-wave déjà rodé, à l’image de Fortune, fait de lignes de basse ronflantes, riffs de guitare tournoyants et envoûtants et voix glaciales (ici Perry), les compositions de DCD vont cependant bien au-delà. En introduisant une dimension ethnique à sa musique le groupe montre d’ores et déjà la voix qu’il empruntera jusqu’à sa mort. Et c’est bien en cela qu’au-delà du fait que ce premier disque soit une révolution majeure, il endosse également un statut bien à part au sein de la discographie du groupe, dans le sens où il subsiste comme étant le seul disque avec une schéma instrumental emprunté à la scène dont il vient. Autrement dit, Dead Can Dance utilise encore des guitares, une batterie et une basse avec une dimension très rock, ce qui ne sera plus jamais le cas par la suite. Les dimensions inédites utilisées, qui seront donc la voie royale explorée par la suite, développent des influences très diverses puisant dans un référentiel de musiques du monde, et utilisant les nombreux instruments qui vont avec. Dès The Fatal Impact, on comprend cette logique, ce mélange glacial de rythmiques primitives, de mélodies sacrées et d’onirisme recherché. Tout au long de ce premier effort, Dead Can Dance développe une diversité de sonorités qui sera l’une de ses caractéristiques principales, en jouant sur les timbres, les rythmes, et ce toujours dans un souci de perfection esthétique. Les mélodies religieuses (Musica Ethernal), orientales (Carnival Of Light) ou que sais-je sont utilisées comme étant des fins en soi (pas dans un souci de mimétisme folklorique ou culturel s’entend), et se consacrent entièrement à la pureté, à des sonorités éthérées et toujours cristallines.
Pourtant, la véritable révolution engendrée par Dead Can Dance vient des parties vocales. Lisa et Brendan sont comme deux anges, deux créatures dont la voix est portée par le vent dans un état de grâce. Le timbre vibrant d’une nymphe rocailleuse s’allie dans une étrange magie à des instrumentales déjà riches, et joue à cache-cache avec celui de son comparse, triste à mourir, qui calme les folies d’une créature intrigante, esclave de la musique qu’elle porte sur ses épaules. En utilisant un registre lyrique quasi ecclésiastique, le groupe touche déjà sans contestes possibles à l’image gothique qu’on lui attribuera. En explorant des thèmes noirs, la culpabilité, la souffrance, la solitude, l’ambiance est parfaite de cohérence et d’intégrité, et incarne à elle seule un renouveau : le renouveau de la mélancolie, arrivé en plein essor post-punk, et qui en définira en partie les limites.
Dead Can Dance est né, tout comme le mouvement heavenly (même s’il n’a pas encore de nom), dont il est le précurseur avec les Cocteau Twins, et l’on ne soupçonne pas encore l’ampleur que ce petit monde va prendre. L’osmose entre Lisa Gerrard et Brendan Perry est encore jeune, mais déjà très mature, surtout au regard de la manière dont a vieilli ce premier disque. World music et rock music sont toutes deux bouleversées, fusionnées de telle sorte que chaque domaine puisse y gagner gros. La révolution gothique moderne est lancée, rien ne l’arrêtera, et Dead Can Dance en est l’une des mères incontournables.
A écouter : En entier.
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