Dayal Patterson
Littérature

Non Serviam : The Official Story Of Rotting Christ
Chronique
Après avoir documenté avec succès les plus gros noms du Black Metal, le journaliste Dayal Patterson offre depuis quelques temps un éclairage sur les aspects plus méconnus du genre. Cult Never Dies s’intéressait à la scène Polonaise ou au DSBM. Sa maison d'édition publiait elle, en 2019, une biographie de Moonspell, tandis que Patterson achevait tout juste l'ouvrage qui nous intéresse, consacré à un autre acteur exotique du Metal noir, et pas des moindres.
Non Serviam fait en effet prendre conscience de l'importance de Rotting Christ et son frontman Sakis Tholis pour la scène grecque. A l'instar de Moonspell ou Samael régulièrement cités au cours des 277 pages, le groupe des deux frères a ouvert la voie dans un pays a priori peu enclin à l'émergence d'une scène Metal extrême. A domicile, le line-up originel rachète à ses débuts le Storm Studio, permettant l’enregistrement de leurs premiers Lps ainsi que ceux d’autres formations aujourd’hui bien connues (Septic Flesh, Varathron, Kawir, etc). De quoi provoquer une belle émulation dès la première moitié des années 90, qui dessine les contours du son caractéristique Black Metal hellène, reconnaissable pour ses influences très Heavy.
A l'étranger, Rotting Christ entretient très vite des relations longue distance en échangeant des cassettes et des lettres avec Mystifier (Brésil), Immolation (USA) ou Moonspell (Portugal), autant de pointures qui deviendront leurs compagnons de tournées des années plus tard.
Partisan d’une approche chronologique, Dayal Patterson nous plonge dans l’Athènes des années 80-90 et y conte l’ascension de Rotting Christ que l’on suit avec plaisir. La genèse est franchement passionnante, marquée par les conditions underground de l'époque et la détermination sans faille des musiciens, qui ne savent pas encore qu'ils contribuent à écrire un pan entier de l'histoire du Metal. On n'échappe pas malheureusement à une certaine redondance lors de la période la moins intéressante de leur discographie. La deuxième partie de carrière, plus éloignée du Black Metal et flirtant davantage avec le Goth, est marquée par un line-up instable, une perte de vitesse et des choix musicaux parfois confus.
Malgré tout, Sakis et son cadet Themis se livrent sans détour, évoquant les moments difficiles qui ont bien failli mettre le groupe en péril (dépression, doutes, problèmes financiers, conflits artistiques). Le travail intense, la double casquette de musicien et de manager de Sakis ainsi que les tournées ont impacté jusqu'à sa santé et celle de son batteur de frère. C'est lors de ces passages à vide que l'on prend toute la mesure de la détermination du chanteur guitariste : la musique est sa raison de vivre et son échappatoire, alors il faut continuer, quitte à serrer les dents, quitte à sacrifier sa vie sociale ou son indépendance financière.
Et tout cela paye : la renaissance de Rotting Christ avec son célèbre Theogonia donne un nouveau souffle aux méditerranéens, désormais très inspirés par leurs propres racines et bien plus encore. Le dernier tiers de Non Serviam s'attarde notamment sur les thématiques fortes des albums récents, puisant dans les légendes et traditions du monde entier pour accoucher d'un Metal multiculturel et occulte.
Ils ne sont pas nombreux, les artistes toujours pertinents après 30 ans de carrière et qui plus et, qui parviennent à se réinventer. Plus porté sur le factuel que les anecdotes de rockstar, Non Serviam dresse le portrait d'un duo intègre, résolu à rester droit dans ses bottes et en phase avec ses valeurs (celles de l'underground des débuts). Agrémenté de pas mal de photos d'époque, il offre une belle vue d'ensemble sur la discographie tout en reflétant la passion qui anime les deux frangins. Si la Grèce a sa place sur la carte mondiale du Metal actuel, c'est bel et bien grâce à la fratrie Tolis.