Daughters

Noise / Grindcore

États-Unis

You Won't Get What You Want

2018
Type : Album (LP)
Tracklist
01. City Song
02. Long Road, No Turns
03. Satan In The Wait
04. The Flammable Man
05. The Lords Song
06. Less Sex
07. Daughter
08. The Reason They Hate Me
09. Ocean Song
10. Guest House

Chronique

par Skalkulo

L'Express. Lundi 26 octobre 2026.

Cela fait aujourd'hui cinq ans que la commission européenne a interdit toutes les formes d'expressions artistiques qui « pourraient nuire au bonheur des citoyens travailleurs et à leur capacité d'être positifs et par conséquent productifs pour leurs pays. » Dans le collimateur des penseurs européens ces musiques notamment qui tendent, par leur noirceur, leur pessimisme et leur froideur à rendre les auditeurs dépressifs, neurasthéniques et pire, mélancoliques. Notre rédaction souhaite faire le bilan, cinq ans après, de cette mesure acceptée finalement par une très grande majorité des citoyens européens.

Disons-le, il était grand temps de s'attaquer à ces « arts de la démotivation » ! L'exemple de la musique noise-rock est édifiant. Frappant même ! Il suffit de suivre ces gens, sans âge, de noir vêtus, qui se rassemblent pour fumer des cigarettes et boire des bières tout en secouant la tête en faisant bouger leurs cheveux gras et sans forme devant un groupe qui « joue » de la musique qui ne donne même pas envie de danser ; qui ne donne pas envie d'être heureux ! Incroyable ! L'on peut comprendre que cela donne envie de se suicider. Si au moins ils voulaient tous, ces « fans de noise », se suicider en même temps, cela pourrait servir la croissance économique des grandes chaînes de magasins de bricolage. Les cordes se vendraient comme des petits-pains, cela serait bon pour les commerces et cela rendrait les chiffres plus clairs au niveau de la sécu. Mais non ! Ces personnes malheureuses se suicident chacune dans leur coin, sans prévenir, sans se concerter ! Pire : elles fabriquent des cordes de fortune et ne consomment pas ! C'est une honte de montrer si peu de solidarité envers le système qui les laisse vivre depuis si longtemps…

Mais c'est qu'ils résistent, les ténias du bonheur ; les défaitistes de la croissance positive. Cet exemple, lu dans un « magazine » voué, malgré son interdiction formelle, au metal : « Tool a annoncé officiellement réfléchir à la possibilité de commencer à composer de nouveaux titres pour donner un successeur à 10000 Days. L'album pourrait sortir en 2033. » Et voila ! La preuve par A + B : la procrastination dans son plus simple appareil. Sans honte. On fera plus tard ce que l'on pourrait faire, en se retroussant les manches, en traversant simplement la rue, immédiatement ! Une honte qu'on vous dit…

Ce n'est pourtant pas compliqué de répondre positivement aux propositions de l'Europe : prenons exemple, pour rendre les gens heureux et les soutenir dans la quête quotidienne universelle de la croissance à 1,8%, sur M Pokora. Le mec, tous les jours, déguisé en Charles Aznavour, continue son incroyable tournée de reprises de Louane qui chante Claude François tout en imitant Maitre Gims. Le génie a déjà rempli 16 fois le Love Notion stadium. Quel talent ! Ça c'est un exemple ! Et Kendji Girac qui fait danser la France, l'Europe entière... Allez dansez travailleurs ! La vraie musique entraînante et joyeuse gagne du terrain. Tous les jours. Même si quelques poignées de déprimés résistent. Encore et toujours. Telles ces douze personnes, qui ont participé, au « Point Éphémère » à Paris, à un concert d'hommage à un groupe nommé Daughters et à son album You Won't Get What You Want, sorti un 26 octobre 2018. Depuis huit ans, chaque année à la même date, quelques mordus en marge de la société positive se réunissent dans cette salle où le groupe américain aurait donné, parait-il, son dernier concert en France en 2019, pour tenter d'y rejouer intégralement cet album qu'ils estiment être ni plus ni moins qu'un enregistrement qui a « changé la face de l'univers du rock » (dixit). L'organisateur de ce micro-événement – nous l’appellerons « Y » pour ne pas embarrasser ses parents, nobles travailleurs de plus de soixante-dix ans participant dignement à la croissance du pays – a tenu à nous rappeler le choc que constitua, pour quelques-uns, la sortie de ce disque « fondamental ». Cet homme, « Y », d'un âge incertain, par ailleurs ancien chômeur en fin de droit, n'hésite pas à nous parler d'un disque que les « fans » du groupe américain n'attendaient plus vraiment ; d'un disque qui arrivait plus de huit ans après la sortie d'un album éponyme qui aurait radicalement modifié, une première fois, la manière dont le groupe envisageait la musique. Qu'après deux albums d'un grindcore expérimental déjà mythiques (sortis en 2003 et 2006), Daughters aurait eu le courage de repartir d'une plage blanche afin d'apporter sa pierre à un édifice rock fait alors de tocs et de brocs ; que You Won't Get What You Want serait une heureuse expérimentation de dix titres flirtant avec pratiquement tous les styles les plus audacieux. Que Daughters aurait réussi le pari de fusionner tous les groupes avant-gardistes jusqu'alors considérés comme des références ; que cet album aurait représenté, à sa sortie en 2018, bien plus qu'un simple hommage fourre-tout de ces styles mais un pas en avant vers le noise rock de demain. « Y » ne s'arrête pas là, estimant que les expériences City Song et Long Road No Turns relégueraient pratiquement The Body au rang de groupe mainstream du dimanche et le Blackjazz de Shining à celui de démo d'amateurs**, que The Flammable Man ou The Reason They Hate Me et leurs murs de guitares/synthés electro-indus chiffonnés par Nick Sadler laisseraient les groupes de mathcore les plus inventifs, tels Frontierer, Psyopus ou Ion Dissonance pour de joyeuses bandes de scouts jouant autour d'un barbecue ravivé à l'essence. Mais encore que Less Sex serait le titre electro-pop / noise que Depeche Mode ou Nine Inch Nails auraient adoré composer. Que les vocaux d'Alexis Marshall, emplis de languissants reproches accusateurs auraient atteint un niveau de tension telle que seuls viendraient les concurrencer ses audacieux spoken words scandés notamment sur le très soft et presque minimaliste Satan In The Wait. Que l'association des dix titres de You Won't Get What You Want aurait été parmi les plus novatrices dans l'histoire du rock depuis les années 80's ; que cet album devrait montrer à Killing Joke, socle identitaire et utilitaire attitré de tous les groupes post-tout depuis trente ans, comment il aurait pu envisager certains tournants de sa carrière (The Lords Song) ; que la production de l'album mettrait en valeur chaque note de ce tout fragmenté. Que Daughters, enfin, aurait donné là les clés du rock, de l'electro-indus, de la musique du futur. « Y » n'hésitera pas à considérer You Won't Get What You Want comme le manifeste d'une nouvelle liberté à découvrir... Un virage vers l'inconnu.

Que pouvons-nous ajouter ? Quand on ose se prosterner devant un groupe qui intitule un album « vous n'aurez pas ce que vous voulez », on a compris que ces tristes sires n'arriveraient jamais nulle part dans la vie. Mais le veulent-ils seulement ? Savent-ils que « the sky is the limit » ? Nullement. Alors, laissons les se plaindre. Encore. Les forces de l'ordre ont fort heureusement stoppé ce « concert » fatalement gratuit, puisque Love Notion organise désormais tous les concerts payants dans le monde, et l'individu « Y », entendu par la police pour tapage concerté à la bonne marche positive de la société, aurait accepté, aux dernières nouvelles, d'aller assister avec sa famille à un concert de M Pokora. Les choses sont rentrées dans l'ordre... Vive le bonheur !

* Tous les groupes et toutes les références musicales nous sont bien entendu totalement inconnus. Nous les retranscrivons par pur souci d'authenticité.

17

A écouter : 1

Les critiques des lecteurs

Moyenne 16.83
Avis 9
metgopsypeth123 January 10, 2019 13:49
Pas du tout accroché à l'époque et là miracle, un pote en fait tourner en soirée et je prends une baffe de malade!

Gros gros album
18 / 20