Darkside est un projet réunissant Nicolas Jaar et son guitariste live David Harrington. Avec Space is Only Noise en 2011, Nicolas Jaar a démontré l'étendu de son talent grâce à un album sensationnel, où cohabitaient finesse mélodique et beats léchés, qui ont aussi bien conquis les férus de Dancefloor que les amoureux d'une musique électronique intimiste et soignée. Avec ce nouveau projet, la musique de Nicolas Jaar incorpore la guitare bluesy de son guitariste live, pour notre plus grand plaisir.

Les amateurs toujours plus nombreux du nouveau petit prodige de la musique électronique s'étaient vu offrir en pâture les onze minutes de Golden Arrow, le morceau d'ouverture censé aiguiser l'appétence d'une horde pitchforkesque en l'attente d'une nouvelle offrande du New Yorkais. Une idée à la fois remarquable et dangereuse puisqu'il s'agit tout bonnement du meilleur morceau de l'album. Faisant le pont entre la musique en solo de Nicolas Jaar et le duo Darkside, Golden Arrow éclabousse l'auditeur du talent de composition des deux comparses. Chefs d'orchestres de nos pulsions mélodiques, les deux musiciens sous-tendent une lente progression, distillant au compte goutte les instruments de notre jouissance auditive. Clairement progressive, diaboliquement exaltante, cette chanson voit son rythme évoluer petit à petit, d'abord avec les beats infectieux de Nicolas Jaar, puis avec la guitare discrète de David Harrington. Ce n'est qu'au bout de 7 minutes que la rythmique s'emballe, Nicolas Jaar nous prouvant une fois encore sa capacité à produire une musique corporelle. L'implosion de beats camouflés est diabolique et l'auditeur voit son corps prendre le contrôle, se dandinant au rythme arrondi et englobant des basses. Le guitariste vient y apposer son grain de sel, enrobant le tout d'assauts concis dévoreurs d'espaces, touts droits sortis d'un duel de pistoléro dirigé par le grand Sergio Leone. Une merveille de composition progressive, vous dis-je. 

Darkside c’est aussi une efficacité éblouissante. Doté d'une production aux petits oignons, Psychic réserve par la suite d'autres très bonnes surprises. Paper Trails le démontre avec son entame très bluesy accompagnée par les basses chaudes toujours aussi travaillées de Nicolas Jaar. Une espèce de power-ballad electro/blues faisant du pied aux Doors en somme. 
Citons également Heart et son côté funky aérien laissant David Harrington le soin de créer une ambiance délectable, mais aussi Freak, Go Home qui lorgne progressivement vers une rythmique proche du disco. Le mélange d’influence est ahurissant de maîtrise, ce qui constitue sans doute la plus grande force de Darkside. 
Convoquer sans cesse à l’esprit les références sans jamais vraiment y ressembler est un exercice périlleux sur lequel de nombreux groupes se sont cassés les dents. Darkside lui, transcende le défi. 

The Only Shrine I’ve Seen et Metatron renouent avec le penchant plus progressif du duo. La première, assez upbeat, est un parfait résumé des influences précitées, entre riffs funky et enrobage électronique satiné. Metatron, qui conclue l’album, est quant à elle bien plus intimiste. Avec une atmosphère jazzy déposée sur un faux rythme à la Portishead, la voix cristalline et le clavier de Nicolas Jaar apparaissent et disparaissent, tandis que les notes de David Harrington viennent enfoncer le clou d’un album décidément hors du commun. Regrettons toutefois la présence des deux interludes Sitra et Greek Light, assez basiques, qui n’apportent pas grand chose à l’album.  


Entremêler influences et références peut être un jeu très dangereux. Soit génie soit maudit, l’artiste se jouant du passé se doit d’être à la hauteur du défi relevé. Darkside, entre ascétisme et jubilation, se fait l’éclaireur d’un choc des cultures qui tutoie régulièrement le génie sur Psychic. La mixité onirique de la techno minimale et du blues/funk nous plonge dans un univers parallèle où Jim Morrison et Mark Knopfler jameraient avec Portishead et Daft Punk. Inclassable, inépuisable.