Voilà une œuvre qui fera date, même si Danny Brown n’en était pas à son coup d’essai. En effet, depuis 2011 et l’album XXX qui a fait éclater son génie au grand jour, le rappeur américain s’est positionné parmi les plus aventureux de la scène Hip Hop américaine. Après Old en 2013, Danny Brown est de retour en 2016 avec l’odyssée psychédélique, malsaine et surréaliste qu’est Atrocity Exhibition.
Avons-le franchement : rarement avons-nous l’occasion de poser les oreilles sur une telle bizarrerie. Certes, nous connaissions Danny Brown en brouilleur de pistes, adepte des entremêlements chaotiques du haut de son flow aigüe si caractéristique. Sur Atrocity Exhibition, les délires psychotiques du rappeur sont poussés à leur paroxysme.
La cohésion de l’ensemble est tout à fait marquante. Quinze morceaux autour des trois minutes qui délivrent un univers propre venant se greffer avec évidence à un écosystème déluré. Car il faut l’admettre, le dénominateur commun est indéniablement la folie. Se dégage de l’œuvre une curieuse sensation : pris au piège quelque part entre un malaise constant et une irrémédiable envie de danser, la stupéfaction qui prédomine bien souvent devant ce monstre de créativité. C’est d’ailleurs ce qui donne au Hip Hop de Danny Brown cette unique richesse. Entre un titre en référence assumée à Joy Division, le premier morceau appelé « Downward Spiral » des pérégrinations stylistiques constantes entre Techno industrielle délirante, Post-Punk déconstruit et Jazz désaccordé, il est de mise que l’Américain n’est pas du genre à faire des concessions. Atrocity Exhibition reprend par ailleurs les thématiques du chef d’œuvre de Nine Inch Nails et notamment celui de la drogue, sujet particulièrement apprécié du rappeur.
Sur cet album, Danny Brown est parvenu à créer une œuvre aussi fun que dérangeante donnant l’impression globale de se retrouver face à l’extravagante positivité d’une fanfare qui arpenterait les rues dévastées d’un monde post-apocalyptique ravagé par une guerre nucléaire.
La diversité qui parcourt Atrocity Exhibition est du reste remarquable. Des morceaux tels que Ain’t it Funny et When it Rains sont de véritables hymnes technoïdes qui permettent au rappeur de mettre en avant son flow épileptique. Impossible de ne pas dandiner du postérieur à leur écoute. Mais le rappeur sait aussi se faire intimiste, mélodiquement et rythmiquement. Pensons notamment aux claviers déroutants de From The Ground (en collaboration avec Kelela), ou encore aux chœurs enchanteurs sur Rolling Stone. Mais là où l’album est le plus remarquable, c’est bien dans cette capacité à vous déstabiliser. Really Doe (avec Kendrick Lamar, Ab-Soul et Earl Sweatshirt, excusez du peu) ou encore Today sont des exemples marquants de cette efficacité mélodique couplée à un chaos anxiogène. Les innombrables samples entrecoupés accentuent encore la déstabilisation. Ce fourmillement permanent de percussions, de chuchotements, de nappes de claviers perfides et de grésillements aléatoires rend les écoutes répétées toujours plus fascinantes : la marque des grands albums.
Écouter Atrocity Exhibiton, c’est entrer dans l’arrière salle obscure à l’air irrespirable d’une boite paumée, où une figure indéfinissable, canif à la main, t’ordonne de t’amuser tout en recrachant sa fumée sur ton visage. Et le pire c’est que tu danses. Danny Brown nous offre ici sans conteste le meilleur album Hip Hop de l’année 2016 et un classique instantané du Hip Hop abstrait.