Le Power Metal progressif est clairement une musique de niche. Mariant un côté festif et visuel à un aspect technique pouvant être rébarbatif aux yeux de certain(e)s, le genre lui-même est un postulat de départ plein de challenge, que peu de formations relèvent. D'une part, parce qu'il est facile de devenir la caricature de l'archétype du groupe typique de Power Prog, finissant par poser en armure en mithril, le pied fièrement juché sur la tête d'un dragon fraichement abattu, tout en schredant à 210 BPM (coucou Rhapsody, coucou DragonForce). D'autre part, parce que depuis une dizaine d'années, chaque nouvel album de DGM est une grosse claque qui redéfinit les standards de qualité du genre. On comprend que ça décourage.
Contrairement à leurs collègues précédemment cités, DGM s'affranchit d'office de toute thématique kitsch dans ses paroles ainsi que de tout arrangement symphonique prétentieux. D'amblée, ça fait des points. Mais alors, à quoi ressemble DGM ? Disons à une sorte de Symphony X, un poil moins progressif, un poil plus Power Metal, et avec un chant moins Heavy. Ou a un mélange bâtard entre Fates Warning et Stratovarius, en moins vieux et en moins chiant.
Commençons par les deux faiblesses du disque. La première est simple et les précédents efforts des Italiens ont déjà ce syndrôme : on ne sait pas quoi retenir de The Passage. Tout est agréable, tout est bon, tout est à garder, et au final on a une impression de grosse masse à digérer, difficile à apprivoiser. L'ensemble est si bien ficelé qu'on ne sait trop où donner de la tête en l'écoutant, et cette livraison me donne encore du fil a retordre bien qu'elle ait plus de six mois : je découvre des éléments à chaque écoute, et je n'aurais pas craché sur un album plus court, ou plus aéré. Préparez-vous à une séance d'introspection intense pour réussir à définir votre piste favorite !
Le second point noir est la production, qui mise énormément sur les guitares, à l'instar des derniers disques de Symphony X par exemple. Mais là où les Américains réussissent à mettre les talents de Michael Romeo en valeur en les soulignant par des basses et des claviers efficaces (sauf peut-être sur Underworld qui souffrait dans une moindre mesure du même soucis de production que ce The Passage de DGM), la guitare des Italiens écrase le reste. L'album n'a tout simplement presque aucune fréquence grave !
En revanche, rien à redire quant aux qualités musicales indéniables des compos de DGM. A la fois virtuoses et entraînantes, aucune piste n'est ennuyante. On remarquera les couplets, qui sont peut-être les moments les plus créatifs de chaque titres : Simone Mularoni y place des riffs de guitare toujours ingénieux et techniques, et pourtant Mark Basile s'y sent à l'aise et trouve la place d'y exprimer son chant. Les refrains sont entêtants et s'impriment efficacement dans les esprits (Fallen, Ghosts Of Insanity, Daydreamer, The Passage... Comme on le disait, toutes les pistes sont bonnes et c'est difficile d'en citer en exemple). Les morceaux sont accrocheurs dès l'intro (Fallen, Dogma, Ghosts Of Insanity, Portrait...), tous les riffs font mouche.
Malgré cette réussite uniforme qui lisse l'album, on remarque ça et là des repères, des balises, qui aident à différencier les chansons les unes des autres. On sera par exemple surpris de découvrir un titre un peu plus AOR avec Animal, The Secret se remarque pour ses 15 minutes (découpées en deux titres d'environ 8 minutes), Ghosts Of Insanity brille par l'intervention du chant de Tom Englund (Evergrey)... Chaque titre reste bien sûr cohérent avec l'ensemble formé par les autres mais arrive aussi à s'en différencier subtilement, tout en enlevant rien au côté indigeste car très compact. Chaque influence est trop pertinente pour être ignorée, The Passage prouvant à nouveau combien il est exigent.
Dans la série des repères qui encadrent l'écoute, on pourra aussi remarquer que DGM se livre à un petit jeu de piste : l'album s'ouvre sur un arpège éthéré joué au synthé, et cette mélodie revient à plusieurs endroit dans l'album, par exemple en arrière-plan du très bon refrain de Daydreamer, ou encore en outro de Animal. Là encore, le disque est tellement touffu que plusieurs écoutes sont nécessaires pour s'apercevoir de la manœuvre.
DGM livre donc avec The Passage un album comme d'habitude excellent, mais qui se mérite. A la fois plus diversifié et plus exigent que ses prédécesseurs, le millésime 2016 des Italiens saura se faire grandement apprécier par celles et ceux qui sont déjà rompus aux codes du Metal progressif et mélodique. En revanche, pour découvrir le groupe, mieux vaut commencer par un Frame ou un Different Shapes plus accessible.
A écouter : The Secret (parties I et II), Ghosts Of Insanity, Dogma, et tout le reste.