Les supergroupes et moi ne vivons pas exactement une grande histoire d'amour. Aguicheurs au possible, il n'en ressort bien souvent qu'une pale copie mort-née des groupes qui ont fait la gloire des membres de ce nouvel embryon et la déception est au même paroxysme que l'attente suscitée. Enfin tout de même, je dois confesser que lorsque mon œil dubitatif s’est arrêté sur le line up de Corrections House, le frétillement de mes papilles s’est retourné contre mes a priori. Voyez plutôt : Scott Kelly de Neurosis, Mike IX Williams de Eyehategod, Bruce Lamont de Yakuza et Sanford Parker de Nachtmystium. Soit parmi les membres les plus influents des scènes Sludge/Post-Hardcore/Expérimentale de ces dernières années. Il n'en fallait pas plus pour aiguiser ma curiosité.
L'univers dressé sous nos oreilles assiégées est des plus cataclysmiques. L'isolement camisolé et claustrophobique du New York 1997 de John Carpenter cristallise l'atmosphère dangereusement décadente suggérée par Last City Zero. Sombrant au milieu de ces venelles sombres et suintantes, l'esprit dérangé jubile à l'écoute de ces coups de boutoir spasmodiques.
Le monolithe proposé est d’une ambivalence qui forge les grands albums. Les premières écoutes sont rugueuses, l’accès au cœur de cet acharnement bestial semble obstrué. Ce n’est qu’après de nombreuses écoutes répétées que l’animosité s’apprivoise pour laisser entrevoir les radiations du concept proposé.
L’efficacité n’est pourtant pas reléguée au second plan. Le premier morceau, Serve and Survive, sur lequel plane l’ombre du grand Neurosis se termine en apothéose avec cette accélération rageuse en milieu de morceau et son break titanesque agrémenté d’une pyrotechnie industrielle du meilleur effet. Bullets and Graves se démarque du bloc monolithique avec son tempo relevé aux relents Thrash/Punk rappelant les œuvres d’Al Jourgensen dans Ministry. Sous-couvert d’une atmosphère post-apocalyptique terriblement malsaine, les riffs tonitruants s’enchainent et affichent une efficience délectable.
Le travail fourni sur l’enrobage industriel est d’une minutie redoutable. Chaque nouvelle écoute révèle une panoplie d’hurlements, de synthés, de beats insalubres qui, cumulés, nous plongent dans un marasme édifiant. L’influence sans doute de Bruce Lamont, créateur habile du mysticisme enrobant le Metal expérimental jazzy de Yakuza. Sur Dirt Poor and Mentally Ill, une rythmique proche du Closer de Nine Inch Nails s’installe peu à peu, rythmant la tonalité corpulente des guitares.
Au milieu de cette incandescence Industrialo-Sludge, notons également la présence de parties Folk/Ambient, notamment sur Run Through The Night ou Hallows of The Stream, qui peuvent être rapprochés des travaux en solo de Scott Kelly. Même s’ils apportent leur pierre à l’édifice malsain de Corrections House, ces morceaux n’ont pas l’impact des mastodontes précités. Il en va de même pour l’utilisation répétée du Spoken Word, notamment sur le morceau éponyme Last City Zero, qui gagnerait sans doute à être raccourcie et incorporée de façon plus subtile.
Drapes Hung By Jesus, dernier morceau de l’album, est l’incarnation définitive de la jonction entre les albums Streetcleaner de Godflesh et Through Silver in Blood de Neurosis. Neuf minutes d’un cataclysme sonore comme j’en ai rarement été le témoin. Le morceau commence pourtant avec délicatesse, au milieu de nappes de claviers fumigées ne servant qu’à introduire la folie en devenir. Une fois le beat enclenché, la sensation d’assister à la désagrégation du monde se matérialise. Le fer rougeâtre avec lequel nous a marqué Godflesh ou plus récemment Necro Deathmort revient menacer notre fébrilité, se ballotant au milieu de la décrépitude imposée. Un morceau d’une force inouïe qui s’achève sur les hurlements indistincts d’un Scott Kelly possédé.
Tel l’Hydre de Lerne, les individualités à la source de Corrections House parviennent à unir le bouillonnement avant-gardiste qui les animent pour mieux assiéger nos désirs d’une musique toujours plus extrême, toujours plus sombre. Un premier album qui, espérons-le, en appellera bien d’autres.
A écouter : Serve or Survive, Bullets and Graves, Drapes Hung by Jesus