Biographie

Cerberus Shoal

Originaire de Boston, Cerberus Shoal mériterait presque d'avantage le qualificatif de collectif à celui de groupe à part entière. De son premier battement de coeur en 1994 à son dernier souffle au coeur des années 2000, la formation a vu sa composition évoluer au fil des ans, des albums et des styles atour d'un noyau central de trois musiciens. Plus d'une dizaine de membres naviguera ainsi dans l'entourage de Chriss Sutherland, Caleb Mulkerin et Tom Rogers au cours de la dizaine d'années que durera leur exploration de courants musicaux allant de l'Emo/Indie à la Folk débraillée en passant par le Post Rock et l’improvisation.
Animé d'une soif d'expérimentation sans borne et une productivité élevée, le groupe à géométrie variable sortira pas moins de 9 albums en 11 ans ainsi que plusieurs splits. Le dernier en date fut d'ailleurs le bon, le sien, qui fit suite à la sortie en 2005 de The Land We Believe In. Le disque, bien accueilli, restera pourtant dès lors le dernier en date du projet, Fire on Fire ayant depuis pris la relève, toujours dans la veine Folk explorée par Cerberus Shoal sur ses dernières années.

Chronique

18 / 20
4 commentaires (16.75/20).
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Homb ( 1999 )

1999, année faste. Coincé entre deux Godspeed You! Black Emperor, contemporain de Cycle of Days and Seasons (Hood) et du recadrage de Sigur RosHomb est l'oublié de la bande. Si bande il y a jamais réellement eu, bien évidemment.

Un premier titre qui n'en est pas un: "Harvest". A la fois dans et hors du disque qu'il ouvre. Plus de six minutes de Drone électrique comme un sas indispensable qu'il faudrait franchir, dans lequel il est nécessaire d'aller se perdre, se laver de toute attente, avant pouvoir aborder ce quatrième album - pour autant d'angles d'attaque différents. Certains resteront à la porte. C'est le prix à payer pour approcher Homb, oeuvre singulière et paradoxale car en fin de compte accessible mais terriblement exigeante.
Un second: "Omphalos". Homb éclot enfin dans une formidable explosion de cuivres et de percussions. Entièrement au ralenti. Dans une retenue extrême à même de repousser les limites de l'intensité musicale. Puis vient "Myrrh", articulé en trois mouvements pour trois quarts d'heure de montée d'une amplitude rarement atteinte. Jamais O grand jamais Cerberus Shoal ne se lancera dans une course en ligne droite pour aller décrocher les étoiles, spécialité vue et revue de toute une vague de formations post-2000 qui déferlera bientôt à la poursuite du fantome de GY!BE. Non, Homb est un disque de l'ailleurs. Hors du cadre de A à Z, partout et nulle part à la fois qui embrasse absolu et néant, défie le concept de relativité. Point de course à la note ultime donc car quand Explosions in the Sky et ses petits copains y allaient, Cerberus Shoal revenait déjà, vainqueur. Imposer une œuvre entière comme une réussite absolue plutôt que de briller haut et fort par intermittence. Six pieds sous terre et les astres à portée de main ("Myrrh (loop)"), Homb irradie d'une classe sans limite. Une heure tout pile de démonstration absolue.
Prendre du recul et aborder cette oeuvre dans son ensemble est la seule issue. Bien que découpé en cinq morceaux, Homb n'est qu'un, se construit sur et se nourrit de sa propre évolution, constante, progresse en roue libre vers un point que seuls ses auteurs connaissent, à la frontière improbable du trip tribal et des climats Dark folk du vieux continent, s'aventure aux frontières de l'ambient folklorique d'Hector Zazou, fait pâlir le rock improvisé de papa par sa liberté et son détachement, effleure Ulver par cette noirceur sobre qu'il recèle autant qu'il développe. Homb est rond et dramatique, urgent mais progressif, toujours inattendu, aérien mais pesant, sombre mais libérateur. En passant, Cerberus Shoal adresse un (discret) clin d'œil complice à Bark Psychosis et quelques autres défricheurs géniaux d'une certaine idée de la musique, ceux que la critique désigne depuis quelques années par le terme "Post Rock". La vérité est pourtant autre. Cette poignée de formations (O.Rang, Labradford, Hood, TortoiseThe Durutti Column ou encore Long Fin Killie pour ne citer qu'eux) était déjà probablement allé au-delà même si leur musique colle à deux ou trois queues de pelle près à l'idée que nous aimons nous faire du genre. A jouer à ce petit jeu il n'est alors pas plus difficile que scandaleux de faire rentrer Cerberus Shoal dans cette case avec ses contemporains. Surtout si celle ci n'a pas de bords clairement délimités pour leur plus grand bonheur - et le notre. Et même s'ils n'en ont eu que faire.

Au croisement de la négation complète de l'héritage du rock briton et de la scène alternative US, entre refus d'aller singer les maitres canadiens et incapacité à se répéter, Cerberus Shoal enfante une œuvre articulée autour de cinq mouvements et d'une foultitude d'idées mises en relief par des arrangements dont la fluidité fait oublier la précision redoutable et le travail de forçat qu'ils auront nécessité en amont. Cerberus Shoal pousse son Après Rock plus loin que quiconque, écrit sa propre définition de ce genre qui n'en est pas vraiment un avec une clairvoyance et un soucis d'ouverture qui permet à chacun d'aller se frotter à ce disque à la fois envahissant, dense, ouvert et profond. Must Have.

A écouter : Absolument