Il fut un temps, terrible règne, où Celtic Frost siégeait sur le trône malfaisant du métal extrême. Chacun de ses exploits/disques guerriers ne manquaient pas de faire naître la noire vocation parmi ses jeunes et prometteurs sujets. Des disciples enflammés par un métal qui n’hésitait pas à creuser dans les funestes décombres du punk, et par cette voix belliqueuse semblant être le vecteur du Monarque souterrain et de ses prophéties. Ce dernier l’a même convié au sein du Pandemonium en 1987, juste avant que l’interminable traversée du désert ne débute. Le pouvoir alors laissé vacant par le glam Cold Lake aura raison de Celtic Frost face aux jeunes loups norvégiens aux dents longues, et ce malgré le léger sursaut d’orgueil Vanity/Nemesis.
Mais tel un Lazare inversé, le groupe renaît en 2003 en pleine gestation d’un Monotheist qui sortira trois ans plus tard. Un album revenant de l’au-delà/split qui fait paraître Celtic Frost encore plus sombre et puissant qu’il ne l’a jamais été, comme s’il avait réussi au bout du compte à transcender le chaos dont il fût frappé.
Le tour de force que parviennent à réaliser les zurichois avec ce disque, c’est qu’ils ont d’abord su éviter le classique retour aux sources faisant souvent office de cache-misère. Le Celtic Frost du nouveau millénaire prend désormais sa source dans le doom, dans l’indus, tout en conservant le feeling sinistre de son dark/proto-black métal originel, ainsi que quelques poussées thrash enfiévrées. Plus globalement, c’est comme si le Cathedral des débuts se faisait froidement martyriser par Godflesh, et que son corps traumatisé se mettait par moments à convulser comme Nailbomb en contre-réaction.
Les guitares, et leur ton descendu six pieds sous terre, sont évidemment aux premières loges de ce nouveau tournant. Plombées, elles tombent avec toute l’intransigeance du marteau sur l’enclume, mais participent également à l’ambiance si sombre de Monotheist via des nuées spectrales ou des larsens dans les instants plus "mesurés" (Drown In Ashes). Car si Celtic Frost sait faire parler la poudre (l’entame musclée Progeny, Ain Elohim) avec cette batterie aussi implacable que le métronome d’Unfold et cette voix sèche de mage courroucé que prend Tom G. Fisher, il peut aussi créer des climats somptueusement "chargés". Les suisses font ainsi gronder les gouffres insondables (Os Abysmi Vel Daath), inondent les ténèbres d’une mélodie-lumière rédemptrice (Obscured), et ressortent même pour l’occasion les fameuses timbales et trompettes apocalyptiques qui ont tant marqué la scène black métal. Une richesse sonore qui trouve son archétype dans l’inévitable A Dying God Coming Into Human Flesh, magnifique titre schizoïde alternant entre le recueillement orchestré par un chant quasi-grégorien, et la fureur de la Bête réveillée.
Monotheist est donc un disque très travaillé. Mais c’est en réalité un disque "pensé". En témoigne le triptyque de fin de parcours dans lequel l'effroyable incantation de Tottengott nous mène logiquement aux portes de la Synagoga Satanae, cet infernal purgatoire. Un morceau de bravoure de 14 minutes à l’introduction rituelle, aux riffs sans merci, le tout obéissant au prêche fédérateur de Tom Fisher et de son fils spirituel Satyr (Satyricon). Le périple se clôt enfin sur un Winter (Requiem) aux cordes glacées et désabusées, legs d’un Celtic Frost toujours aussi sensible aux sonorités classiques qu’il aimait déjà placer dans les 80’s.
En outre, la musique fait véritablement corps avec des textes réfléchis, tantôt inspirés par la mort de Dieu de la philosophie nietzschéenne et son impact sur l’Homme, tantôt par l’occultisme des travaux d’Aleister Crowley, ou encore par le flou historique de l’émergence du christianisme. Une remise en question profonde de nos croyances (ou du moins d’une métaphysique) qui s’incarne dans l’artwork même de l’album avec ce visage régulier de la spiritualité, aux yeux perçants, mais dont la bouche est fatalement tuméfiée.
Tout cela montre, au final, que Celtic Frost a fait bien plus que se reformer. Il s’est tout bonnement réinventé. Monotheist outrepasse en effet largement ce qu’on peut attendre de la plupart des retours fracassants de groupes cultes, et rassure sur le fait que Fisher et ses acolytes ont encore beaucoup de choses à sortir de leurs grimoires interdits. Que ceux qui s’attendaient à un petit souffle tiède prennent garde, ils risqueraient d’être cueillis "à froid".
Ecouter : Quatre titres sur la page MySpace du groupe.
NB : l'édition limitée comprend le titre bonus Temple Of Depression sur lequel apparaît Ravn de 1349.
A écouter : dans l'obscurit�.