Cardiacs

Prunk

Royaume-Uni

Sing To God

1995

Chronique

par manulerider

Une pluie de féérie psychédélique, une fraîcheur surréaliste, une absurdité jouissive, un art de la mélodie non convenue, de la surprise perpétuelle.  Une euphorie presque crétine, une folie perverse, des voix complètement illuminées chargées à l’hélium évoluant dans des orchestrations (il n’y a pas d’autre mot) cartoonesques et grandioses. Le prunk atteint son essence, sa plus pure forme. Sing To God n’a pas volé son nom, loin s’en faut. Perdu dans le passé, passé inaperçu à sa sortie, sorti peut-être trop tôt ; comment un tel génie peut-il être aussi méconnu ? Cardiacs n’est connu que des rares avertis qui avaient les clés pour fouiner à l’époque. Cité des grands de l’expérimental des 90’s comme une référence absolue (citons Patton et Townsend pour faire court), le groupe bénéficie heureusement de l’effet positif d’internet qui semble lui donner finalement justice (au moins auprès des passionnés de musique). Ainsi, ce Sing To God dont les stocks ne se sont épuisés que récemment se négocie déjà bien souvent avec un nombre à trois chiffres (en euros).

Commençons par le commencement. Qu’entend-on par prunk (si vous avez suivi, j’ai employé ce terme un peu plus haut)? Très simple, il s’agit de la contraction de Prog et de Punk et c’est Tim Smith, gourou de… Cardiacs qui s’en est vu attribuer la paternité (il est sûrement le seul), bien que de son propre aveux, encore faut il savoir décoder ses propos, il trouve le terme trop pompeux. Bien, vous savez ce qu’est le prunk, vous êtes moins ignare, sauf si vous connaissiez déjà ce terme, mais étant donné que Cardiacs, bien qu’ayant fait des petits, est le seul à pratiquer le prunk sous ce nom là, mis à part quelques obscures formation oubliées, vous n’aurez d’autre choix que d’écouter pour savoir de quoi il en retourne, parce qu’avec un concept aussi ambitieux, le terrain de jeu est immense et les limites lointaines.

Sing To God est certainement le disque le plus facile d’accès de Cardiacs. Il s’inscrit dans la dernière période du groupe, celle ou chacun des albums sortis surpassait le précédent en termes de composition. Et si le groupe a toujours eu une énergie effectivement très punk depuis le début de sa carrière en mélangeant ska, rythmiques directes et plans à 200 à l’heure à des éléments plus progressifs, ce septième album atteint un art de l’impact direct jamais perçu auparavant. D’une complexité extrême, la musique de The Cardiacs grâce à une production lumineuse, des titres palpitants et une atmosphère euphorique du début à la fin, est tout au long de ce double album (1h30 de durée) complètement captivante, punk et subtile (c’est possible). Ce Sing To God ressemblerait même à un opéra rock psychédélique, une odyssée à travers l’absurde, et là où quelques années plus tard un Bungle jouera dans le même tableau, il n’arrivera jamais à effleurer  le niveau d’esthétisme que Cardiacs a pu atteindre. Sing To God est une somme de travail monumentale, car chaque titre présente des constructions complexes où les différentes couches de son se substituant les unes aux autres n’ont d’autre but que la recherche de la beauté sans dénaturer l’énergie. Et c’est probablement en cela que ce disque est le plus intéressant de la discographie du groupe, car il en est le plus mature. Moins frivole que ses prédécesseurs, euphorique sans tomber dans la facilité festive, il scelle définitivement tous les degrés de liberté de cet art pratiqué pour démontrer à quel point Tim Smith et ses acolytes sont devenus maitres de leurs créations. Rien ne semble laissé au hasard, des complaintes douceâtre (Odd Seven) aux potentiels tubes interplanétaires (Dirty Boy enterre n’importe quel titre de Muse cent fois), en passant par les purs moments de bonheur rock’n’roll pouvant être tant dissonants que puissants ou dansants, sur des riffs foutrement efficaces ou des soli de l’espace, tout y passe. Cardiacs n’a aucune limite, aucun scrupule à enchaîner le boogie woogie, les montées tribales typiquement post-punk,  les fractures de rythme improbables, les mélodies new-wave simplistes entêtantes, les canons acidulés grandiloquents, en éparpillant des détails improbables à tout va, en mélangeant pléthore d’instruments. Orgues, guitares, synthétiseurs, bandonéons, piano, chacun prend sa place et étale sa schizophrénie à côté des autres, se fraie un chemin dans une œuvre musicale totale et intemporelle (qui croirait que ce disque a 15 ans ?).

Comme souvent dans la musique de ces groupes qualifiés d’Art Rock, de Rock In Opposition, on se retrouve complètement passif, chahuté dans une musique totalement imprévisible et décomplexée. Cardiacs est parmi les maitres de ces sphères, Sing To God en est son manifeste, un manifeste jouissif et baroque, à la personnalité forte et dérangée, presque perverse. Ce double album est tant plaisant qu’il est barré, plein de surprises à découvrir au fil des écoutes, et jamais lassant ou énervant. Faisons  justice à cette entité hybride qu’est Cardiacs.

17

Les critiques des lecteurs

Moyenne 17
Avis 2
Sugarbread June 19, 2010 12:10
Tout est dit dans la chro de Manu. Très grand album. De là à avoir tout cerner ... rien n'est moins sur.

Tout est à écouter évidemment mais je trouve le morceau Dirty Boy Gigantesque !!!
18 / 20
Euka October 11, 2009 04:21
Pas mieux que les écrits de Manu. Cardiacs se lance dans un conte déjanté, peuplé de créatures étranges et de musiques barrées.

A écouter l'esprit grand ouvert, au milieu des Schtroumphs, un bon bol de salsepareille à la main, le tout sous helium. Et encore, on est loin du résultat...
16 / 20