On ne compte plus le nombre de fois où on a entendu des groupes sonnant comme Cap’n’Jazz, le nombre de fois où on a lu des bio’ de formations revendiquant l’héritage de Cap’N’Jazz. C’est là la marque des grands. Cap’N’Jazz est une référence de l’emo, un de ses piliers fondateurs.
Ce qui frappe d’emblée chez Cap’N’Jazz, c’est évidemment la vitalité qui émane de ses compositions. Analphabetapolothology est en perpétuel mouvement, sorte d’illustration moderne de la théorie d’Héraclite sur le mobilisme universel. "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" avait dit le philosophe grec. Cap’N’Jazz répond en ne jouant jamais deux fois la même partition. Naturellement - par essence même – Cap’N’Jazz remue, bouge, éclate et éclabousse, comme un feu d’artifice sonore qu’on laisserait jaillir sans rechercher de plan chronologique, juste par amour de l’explosion des couleurs. Une basse qui ne tient pas en place ("Tokyo", "We Are Scientists !"), et qui claque des doigts sur chaque note, des embardés des cordes punkisantes, fast et quasi pré-mathy, des rythmes décalés, serpentés qui cherchent à prendre les chemins alambiqués des clairières plutôt que les grandes allées ombragées. Voilà tout simplement ce qu’on appelle une identité reconnaissable entre milles.
Cap’N’Jazz, lui. Cap’N’Jazz luit.
"In the clear" résonne en confirmation. Le titre donne la substance. Contrairement à l’emo 80’s way, qui gardait l’âpreté de sa scène hardcore originelle, Cap’N’Jazz joue avec le soleil comme médiateur. Analphabetapolothology est une tempête de lumière qui irradie. A s’en cramer la rétine ("Yes, I am Talking To You"). L’émotion n’y est plus à la fureur, elle est à l’éternité. Tim Kinsella invente alors pour l’exprimer un chant tout en nuance. Le "funanbulisme vocal" de l’emo est née. Il donnera ses lettres de noblesse à la 2e vague à venir (Sunny Day Real Estate, The Promise Ring, Brandtson, American Football). Les pieds nus du larynx sur l’arrête tranchante de la justesse, Tim se pousse donc au cri(me), racle les syllabes indicibles, écorche les aigus et rampent sur les fins de phrase ("The Sand’ve Turned Purple").
That’s the emo way to sing. The emo way to be.
Analphabetapolothology, sorti chez Jade Tree trois ans après la fin du groupe est une discographie posthume qui a choisie de tout mettre : titres des splits, albums, compil’, reprises et mêmes les unreleased. Les 34 tracks sont donc inégales et certaines ne sont qu’expérimentations ou amusements (cover du "Take On Me" de Aha ou du thème de "90210" (la série Beverly Hills). Cela ne doit pas faire perdre de vue la richesse et l’innovation de l’opus qui renvoie les anciens sons punk rauques au cimetière pour ouvrir sur une période emo nouvelle, qui intègre des instruments externes au genre classique (cuivres, claviers, harmonica), lorgne sur l’indie, explorent les doublages de voix et les chœurs, les hurlements déraillés, les chatouillements d’arpège et les combinaisons rythmiques/mélodies éblouissantes. La fantastique "Ooh Do I Love You" joué en acoustique (un must listen) ferme la marche.
Je crève n’a jamais aussi bien rimé qu’avec j’achève.
A écouter : et � en crever