Bienvenue à South Central Los Angeles. Territoire des gangs, de la pauvreté, d'inégalités,
de violence policière et d'Ice Motherfuckin' T bitch ! C'est de ce quartier qui
l'a vu grandir dont le rappeur parle dans tout cet album, ainsi que de la soif
de sang, Bloodlust, qui y règne.
Dans la lignée de Manslaughter, Bloodlust est brut, comme
tiré tout droit des années 90 mais avec une production moderne. Le premier point fort de l'album est de nous
plonger dans cette ambiance de violence urbaine et de nous y scotcher tout au
long de l'écoute. Tous les thèmes classiques du genre y sont abordés, les
gangs, l'argent, la mort, la police, le racisme, l'insoumission etc. Quoiqu'un
peu caricatural, il n'en reste pas moins que ces aspects sont indissociables du
style musical et les Body Count ont quelque part, une légitimité dans ce
milieu, en étant issus eux-mêmes et s'y étant confrontés directement.
On trouve toutes les caractéristiques d'un bon disque.
D'excellents titres (No lives matter, Black hoodie, Ski mask way), ainsi qu'une
cohérence d'album tant sur l'ambiance que sur le développement. Il a été
reproché à Manslaughter d'avoir une seconde moitié plus faible, ici les trois
derniers titres sont des bombes. Toutes les compos ne se valent certes pas, et
il y a un ventre mou vers le début/milieu de Bloodlust, ceci dit ces chansons
sont inscrites dans une trame plus globale de développement. La seule qui
s'éloigne de cette trame est la reprise de Slayer, Rainning Blood. Contrairement
à la reprise revisitée de Suicidal Tendencies sur le précédent, celle-ci n'apporte
pas vraiment d'originalité ou de pertinence. Il faut simplement y voir un
hommage d'un groupe à un autre, et un petit Rainning Blood ça fait toujours
plaisir. On trouve également du beau
monde invité, Dave Mustaine de Megadeth qui tape solo sur Civil War, Max
Cavalera de beaucoup (trop) de choses sur All Love is Lost, et Randy Blythe de
Lamb of God sur Walk with me.
Au niveau de ce qui se dégage de l'écoute, on ressent
beaucoup d'amertume, de rancœur et une certaine forme de mal-être colérique qui
vacille entre défiance, mépris et désespoir. Dans la forme musicale on est plutôt
dans le thème et variation et dans un mode mineur. Les solos, très mid 80s,
début 90s dégagent un sentiment de tristesse et de mélancolie. This is why we
ride en est l'illustration parfaite. Pour ce qui est des textes, on traite de
la perte des êtres chers dû à la violence toujours dans This is why we ride, et
on ne peut s'empêcher d'y voir un hommage appuyé à Mooseman, premier bassiste du groupe mort par
balle. De la "débrouille" nécessaire à la survie même si celle-ci est au
détriment des autres au programme de plusieurs titres. De trahison dans All
Love is Lost. De douleur, de mort et de repentance dans God Please Believe me
et Here I go again. Ou encore dans No lives Matter, de la condition noire aux
Etats-Unis.
C'est en somme, au fil de Bloodlust, une critique des
pouvoirs publics et de leur incapacité à donner un avenir digne à toute une
partie de la population qui se dégage. Souvent ponctué de narration entre les
chansons, Ice-T, toujours aussi engagé dans les luttes malgré la soixantaine
approchante, se dresse en porte parole d'une Amérique opprimée et insoumise. Message d'un enfant de chœur à une sainte
nation angélique et pure. Et
malheureusement le moins que l'on puisse dire est que ces thèmes que l'on
pensait pendant un temps faisant partie du passé, semblent oh combien actuels.
En 2003 le quartier South Central L.A. a été rebaptisé pour laisser derrière ce
sinistre passé qui semble resurgir aujourd'hui et même s'amplifier à mesure
que les nationalismes s'affirment, que les puissants se renforcent et que les
héros disparaissent.
On peut également
voir une symbolique quant à la corrélation entre les années d'activité
de Body Count et des violences urbaines. Si l'on occulte Murder 4 Hire de 2006
qui est une vaste blague, on a un creux entre 1997 et 2014, ce qui correspond à
une période d'accalmie relative. C'est sans doute nourri de ces injustices que
Body Count prend sa légitimité, et peut être pour ça d'ailleurs que Murder 4 hire sonnait creux et faux. Comme si les compères étaient devenus malgré eux le
baromètre d'une société malade et s'en faisaient écho dans une soupape musicale
destinée à porter le message de révolte d'un peuple tendu à l'encontre de ses
dirigeants. Rappelons pour l'occasion que selon les statistiques d'organisations
internationales il y a un lien entre les inégalités, la non répartition des
richesses et les violences, délinquances et guerres à travers le monde.
Pour toutes ces raisons, de pertinence stylistique, de
cohérence musicale, et d'inscription dans un contexte historique, Bloodlust est
très réussi. Tom Araya, frontman emblématique de Slayer avait déclaré dans une
interview datée de 1994 que selon lui, il manquait à Body Count une profondeur
de son pour faire partie des plus grands groupes. À n'en point douter que c'est
donc aujourd'hui chose faite.
A écouter : 1
Je n'avais plus écouté BC depuis 1994 et là, c'est le grand retour ! Qu'est-ce que ça envoie !!!