Guidé par des sons nauséabonds, l’homme avance doucement. Sans contrôle, mécaniquement, il ère par devant son dernier voyage. Ses pas le conduisent vers un vide, et il sent peu à peu tout repère se dématérialiser. Le corps est là, flottant dans un espace inquiétant et sans jalons. Tout ce à quoi il a toujours aspiré semble lointain, sans la moindre importance désormais. Ce corps invisible et livide subit les évènements, incapable de quelconque action, endurant des sonorités désagréables. L’endroit n’existe pas, le temps n’a plus aucune valeur, tout est dense mais rien ne semble exister, et la chair de notre personnage n’a plus lieu d’être, perdue dans un labyrinthe sonore. Les sons se mélangent, nul ne saurait dire s’il s’agit de cordes, de voix, de percussions ou bien d’hallucinations qui mélangent ses sens. Une seule certitude cependant : tout est noir. Tout vrombit, tout dissone, tout se mélange, tout est atroce. L’âme tourbillonne, happée dans une spirale qui tourne, tourne, les couches se soulèvent, s’entremêlent diablement jusqu’à créer le néant. Les échos macabres, les ombres qui sifflent tout autour, ces présences gênantes de discrétion, d’où viennent-ils ? Il le sait désormais, notre être a franchi le pas vers ce pays inconnu d’où nul voyageur ne revient. Ni peur ni aucun sentiment, tel est le présent, et petit à petit, il abandonne son existence, sans regrets ou remords, et se laisse glisser dans les méandres d’un voyage monotone et infernal dont il n’a plus les commandes. Horrible ou pas, il n’a pas le choix, tout avance irrémédiablement, dans une direction impalpable. Désormais atteinte en son sein, l’âme rampe péniblement, crispée. Toujours ces sons, ces interminables sons qui tourbillonnent, presque calmes, qui s’échappent. Sont-ce toujours les mêmes ? Ont-ils évolué ? Qu’importe, ils la font trembler, craindre, au fond d’elle-même, et seul une discrète marque rythmique lui donne espoir, car tout est flou autours d’elle, et la notion même de cécité sensorielle ne saurait décrire cette perte de repères inéluctable qu’elle a subit. Le vent ne souffle plus, les ténèbres font face à notre ombre comprimée, ils émettent des bruits étranges et sales. Et pourtant, pourtant, une once d’humanité semble maintenant en sortir. Cet abysse immatériel vers lequel nous nous plongions, le voici qui nous lance des signaux d’apaisement, et qui enfin offre une stabilité. Des chants clairs, oui ce sont des voix perceptibles, enfin quelque chose de palpable, une métaphore sonore agréable. Enfin l’être livide se sent accepté et sent l’espoir d’une explication à tout ce qui lui arrive. Les ténèbres s’apaisent, le temps est moins noir, ces voix rassurent, et tout devient plus précis. Pour autant, l’avancée improbable continue, reprend son droit. Certes elle fait moins peur à l’âme vagabonde, elle est plus précise, elle offre plus de détails, mais elle continue inexorablement. Un chant, un rythme précis, des mélodies sombres et improbables reprennent le dessus, la machine est déjà relancée, elle offre presque des repères. Puis, alors que l’esprit embarqué dans ce périple est en confiance, tout s’emballe. Non, rien n’accélère, rien ne devient plus fort, et même, tout est incroyablement semblable au peu de repères qui ont été glanés. Mais tout s’effondre. Les bases fraîchement acquises glissent, dans une monstrueuse descente vers le rien. Alors que la décomposition du corps de cet homme s’était faite sans douleurs, voici cette deuxième perte de repères, après ce traître espoir, et celle-ci est terrifiante, car il réalise, il sait. Ces voix abjectes qui l’accompagnaient et ces bruits si étranges, ils sombrent désormais vers un trou noir, vers la fin. Il le sait, il n’y aura plus rien après, et tout cela n’est d’ailleurs rien. Tout est happé vers les ténèbres, le temps est passé, l’espace n’a plus lieu d’être, la chute n’en finit plus et tout converge en un seul point, une seule vérité. Tout est fini : l’homme est Mort.
A écouter : 1
A la fois sublime et immonde. Ces guitares boueuses, ces borborygmes lointains, ces solos dissonnants, cette boîte à rythme glaciale....
L'objet musical le plus proche d'une mort par noyade dans les profondeurs d'un vieux marais putride. Carrément !