A l’origine entité parallèle du collectif Black Metal / Indus baroque parisien Non Serviam, née de la nécessité de composer un morceau en solidarité à un ami taulard (Le monde me revient crié), Biollante s’est mué en un sérieux et déterminé kaijū, musicalement piégé dans la vase du Hip-Hop déviant et bruyant, partageant la crasse du réel sans frontières (parfois aux frontières du réel) avec Death Grips, clipping., The Bug, Scorn, Ic3peak, Atari Teenage Riot, Vald et autres Kill The Vultures.
Réalisé en coopération notamment avec le jeune collectif de rappeurs Gobscrew, J’espère que tu danseras quelque part est le fruit d’expressions multiples, que ce soit dans les thèmes abordés (suicide des jeunes, prison, maladies mentales, révolte, etc) ou la musique exécutée via divers instruments (guitare, clavecin, harpe, machines, sampling narratif pertinent et bouleversant). L’atmosphère y est nécessairement plombée mais d’une percutante richesse émotionnelle, les mots frappent là où ça saigne déjà depuis des lustres, enfoncent leurs doigts blessés au fond des plaies pensées.
« Le monstre est là, Béhémoth de mazout enflammé, toxique au dernier degré » (Biollante)
Avant ça la meute hurle sur fond d’interpellation arbitraire, puis d’un extrait du film de David Cronenberg "Videodrome" sur l’introductif et nauséeux Trigger Warning. Âmes sensibles ne vous abstenez pas. Les textes comme l’environnement sonore giflent nos consciences, nous collent les mirettes sur ce qu’on ne veut surtout pas voir ni comprendre. Le monde me revient crié prévient « J’donne pas une semaine pour qu’on le sorte de là, face aux cadavres de matons, une sorte de mat, le feu sur leur château on le portera », dont l’entame Dub / Trip-Hop évoque les regrettés Guns of Brixton ou Chaos E.T. Sexual, pour muter vers le bruit surélevé d’un chant féminin illuminé puis d’un flow collectif en feu.
Il s’agira aussi (donc) de Penser les Plaies « Alors je plonge, alors je plonge dans sa plaie, Mais qu’est ce que j’en pense ? », vaine tentative d’apaiser les cris et l’esprit de « tous ceux qui saignent », sur un tapis de Hip-Hop lourd et industriel sublimant les mots et les maux. Les coups de couteau ne s’arrêtent pas pour autant et s’étalent enfin le long des vingt minutes de Pourquoi Pas, introduit par l’échange entre un jeune qui a tenté de se foutre en l’air et ce qu’on devine être son assistante sociale, progressivement parasité électroniquement, tel le désir de mort qui prend ses aises peu à peu « Ah j’ai la haine j’pourrais m’donner la mort, mais qu’elle vienne cette conne ». La guitare fait peser encore davantage le propos et le beat initial parvient à stopper l’hémorragie, mais la cicatrice demeure purulente.
J’espère que tu danseras quelque part est un objet musical et narratif unique, écrit à une douzaine de mains touchées dans leur chair, formant Biollante, ce kaijū monstrueux portant malgré lui l’ensemble de nos saloperies sur son dos vert fluo, appelé à nous engloutir, à nous confiner au fond de ses tripes nécrosées, et on l'aura sans doute pas volé.