Toxique, glacial, mécanique, jusqu'à maintenant on pensait Binaire condamné à n'exister que dans la musicalité d'un vocabulaire décharné, proche de l'asphyxie. Dans ses grandes lignes Bête Noire le bien-nommé ne déroge pas à la règle. Distorsion des gammes, maltraitance des feuilles, Binaire n'est pas là pour faire du social, ni jouer les victimes expiatoires d'un monde cruel mais pour agresser et éveiller. Entre humeur revendicative ("Fardo") et air vicié, le duo dégueule son basalte sonique de prime abord assez minimaliste, partant à la rencontre du côté chirurgical de Ministry ou de Big Black ("T'as qu'à bosser", "Vote for Me") ou un chant s'égosille dans une spirale noisy parfois hantée d'une voix féminine. Farceurs aussi les marseillais lorsque le démarrage se fait doux pour s'enferrer brusquement dans un fracas ("We Are Fashion") que ne viennent tempérer que quelques samples le plus souvent acides (la prêcheuse canadienne sur "Barrecade").
Limiter Binaire à cet aspect (binaire et) grossièrement électro serait partiellement inexact. Le duo dynamite les barrières en restant solide et homogène dans son exercice. Loin de n'être qu'un vulgaire support, la beat box apporte à Binaire ce contraste essentiel à sa musique qui, pour electro qu'elle est, n'en demeure pas moins charnelle. Flirtant parfois avec l'émo punk ("Avale"), les deux acolytes se laissent aussi parfois emporter par un enthousiasme insoupçonné façon post punk enjoué ("Kasquapointe"), rapidement altéré celà dit par des tournures plus vénéneuses. Progressivement s'immisce un courant d'air corrompu où l'électro punk de Killing Joke se frotte aux sonorités plus dischordiennes de Black Eyes avant de voler en éclat dans une manifestation brit pop ultra sonique ("30 ans et Devo").
Trois années après Filth Abhors Filth, Binaire franchit un nouveau palier. Plus abouti, plus fourni Bête Noire étale son mal-être en longueur, quelquefois avec difficulté ("Elsa Gunthar"), mais toujours avec envie et sincérité dans un milieu DIY qui, de plus en plus, affiche son insolente richesse.
Tracklist : 1. "Kasquapointe"; 2. "T'as qu'à bosser"; 3. "Avale"; 4. "30 ans et Devo"; 5. "Express"; 6. "Vote for me"; 7. "Barrecade"; 8. "We are Fashion"; 9. Fardo"; 10. "Elsa Gunthar".
Bête Noire est disponible en libre téléchargement sur le site de Binaire.
A écouter : 30 ans et Devo, Kasquapointe